20 février [1847], samedi après-midi, 4 h. ½
Je n’ai pas pu vous obéir aujourd’hui, mon Toto, à cause de tous mes peignages, de mon serrurier et de mon jardinier, mais qu’est-ce que cela fait puisque je vous souris et que je vous porterai s’il le faut jusque dans votre loge du Théâtre Historique [1]. On n’est pas de meilleure composition comme vous voyez, et vous m’auriez faite faire exprès pour vous que vous n’auriez pas mieux réussi. Telle est ma conviction bien sincère et vous ? Cependant ne vous y fiez pas trop, vous savez que dans cette saison les changements de température sont brusques et fréquents et je ne me flatte pas d’être de meilleure pâte que la providence, qui me donne l’exemple des variables avec variantes à l’infini. Il ne m’est pas démontré que ce soir, entre huit heures et deux heures du matin, je ne sois pas très nébuleuse. Cela n’aura pas grand danger puisque [je] serai seule et maîtresse de mon temps. Tantôt si j’avais osé je t’aurais demandé à aller au-devant de toi à la Chambre mais j’ai craint un refus et je me suis abstenue pour ne pas troubler la sérénité de mon cœur. Cher, cher bien-aimé, mon adoré petit homme, mon doux tyran [2], tu ne sauras jamais combien je t’aime. C’est un de mes regrets les plus vifs et les plus tendres de penser que jamais tu ne sauras tout ce que j’ai d’amour ineffable, dévoué et sublime dans le cœur pour toi. J’espère que la Chambre ne te retiendra pas longtemps et que tu viendras tout de suite auprès de moi. Je m’en réjouis d’avance pour être toute prête à être heureuse dès que tu entreras dans ma maison. Tâche de venir bien vite, que je ne me sois pas mise en frais de bonheur pour rien. Pense à moi à présent, pense à moi ce soir pendant le spectacle, pense à moi quand tu liras ce gribouillis, désire-moi et aime-moi pour que nos deux âmes se rencontrent dans le même désir et dans la même pensée.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16365, f. 39-40
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette