Jersey, 11 décembre 1854, lundi après midi, 2 [h.] ¾.
Me voici revenue de mes expéditions presque aussi désappointée que lorsque je suis partie à 11 h. ce matin. Voici le résultat négatif de toutes mes démarches : chez Allix [1], que j’ai trouvé seul chez sa sœur, il m’a dit tenir les renseignements en question d’un certain Johnson, agent de location pour les appartements meublés et non meublés. Du reste, il paraissait croire que ma garde-robe personnelle ne courait aucun danger, ce dont je doute car Préverauda m’a dit hier au soir que Mathé [2] avait été obligé de leur emprunter 150 [F ?] à Londres pour racheter sa malle qui avait été comprise dans une saisie de propriétaire lequel, propriétaire ne lui avait absolument laissé que ce qu’il avait sur le corps. Autre exemple : un proscrit, dont le nom m’échappe, n’a sauvé la sienne, de malle, des griffes de la saisie qu’assisté par cinq compagnons d’exil lesquels ont enlevé la malle à la force du poignet à la barbe du propriétaire. De tout quoi il résulte que je n’ai aucune sécurité. Voici le centenier [3] Dujardin que je n’avais pas trouvé chez lui et que sa femme m’envoie, je te dirai ce qu’il m’aura appris… Je reprends ; tout ce que m’a écrit Allix est vrai et je n’ai pas d’autres ressources que de déménager sans bruit avant l’échéance de mon terme. Le centenier va s’informer s’il y a des appartements dans ce quartier du même prix que le mien et surtout de la position financière de mes hôtes futurs. Car les propriétaires sous-louant en garni sont très rares. Voilà, mon pauvre adoré, les seuls expédients pour échapper au danger imminent qui nous menace. Ce soir tu emporteras tes manuscrits et ta ceinture ainsi que mes couverts et mes autres brimborions portatifs. Du reste il faut n’éventer en rien notre projet de déménagement pour ne pas être devancé par le propriétaire à la requête même de l’hôtesse. Avoir une voiture toute prête et enlever dans un moment tout ce qui m’appartient. Quel absurde pays et quels honnêtes gens ! Enfin je t’aime, voilà le secret de ma philosophie. Je t’adore, voilà ma force.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16375, f. 422-423
Transcription de Chantal Brière
a) « Préverault ».