Jersey, 30 mai 1854, mardi soir, 5 h. ½
J’ai pitié de vous nonobstant vos blagues et vos moqueries cacafouillardes. Je vous ferai votre bouillon aux herbes ? Je viens de déterrer un morceau de jarret de veau dans le garde-manger de la vieille Land, de l’oseille dans son jardin et j’espère que Suzanne saura dénicher quelques brins de cerfeuila dans les jardins environnants, ceci joint à une pinte et demie d’eau fera juste votre affaire. Suzanne portera le tout ce soir passé et prêt à cuire, il n’y aura plus besoin que de le faire chaucher [1] tasse par tasse demain matin chaque fois que tu en voudras boire car il est nécessaire que tu recommandes à la petite Julie [2] de ne pas le faire bouillir. Si tu m’avais laissé ton ordonnance j’aurais envoyé chercher l’huile de ricin par Suzanne tout à l’heure mais ce soir il sera trop tard. Vous voyez, mon amour foireux, que ça n’est pas plus malin que ça, ce qui ne m’empêche pas de trouver déplorable que vous soyez si peu et si mal renseignés, tous les uns et les autres, sur les choses les plus élémentaires de la santé. Après cela vous dédaignez cette érudition de maritorne et vous avez peut-être raison. En somme on n’a pas besoin de bouillon aux herbes tous les jours mais on trouve à placer les épices de son esprit à tout instant. Allons voir la Suzarde qui n’a pas trouvé de « serrefil », comme on dit ici, force sera de s’en passer et d’y suppléer par deux ou trois feuilles de laitueb. Maintenant baisez-moi selon l’ordonnance et aimez-moi sainement.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16375, f. 207-208
Transcription de Chantal Brière
a) « serrefeuille ».
b) « laitues ».