Paris, 11 février 1880, mercredi matin, 8 h.
Cher bien-aimé, je suis bien heureuse que ta nuit ait été relativement bonne car je m’en voudrais d’avoir eu une meilleure nuit que la tienne. Si tu pouvais prendre sur toi de descendre déjeuner avec nous aujourd’hui, je crois que la nuit prochaine serait meilleure encore. Sans compter que cette joie de famille diminuera d’autant le vide que fera à ta table tes chers petits-enfants ce soir qui doivent dîner dehors.
Je crains que le mauvais temps ne nous permette pas de sortir tantôt, il est vrai que nous avons le Sénat obligatoire, demain, qui nous forcera d’y aller quelque temps qu’il fasse. Quelle que soit pour moi la privation de ne pas assister au cinquantenaire d’Hernani le 25 de ce mois, je trouve que tu fais bien de t’abstenir d’y aller. La gloire a des échos qui s’entendent encore mieux de loin que de près et l’admiration, comme le soleil, ne doit être vue qu’à distance, si on ne veut pas en être brûlé. Je te servirai d’écran. Et j’espère que la douce chaleur de mon adoration pénètrera ton âme assez pour en exclure tous les regrets de ne pas assister au nouveau et suprême triomphe d’Hernani dans quinze jours. [1] Je te souris et je te bénis.
[Adresse]
Monsieur Victor Hugo
BnF, Mss, NAF 16401, f. 42
Transcription de Blandine Bourdy et Claire Josselin