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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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28 février 1847

28 février [1847], dimanche matin, 10 h. ¼

Bonjour mon petit Toto, bonjour mon cher petit gueulard, bonjour. Je vous offre la table et le logement et une subvention honnête si vous voulez me donner la préférence sur la gouvernantea de toutes les Algéries [1]. Je vous dispenserai même de touteb espèce de talent d’agrément, votre agréable personne me suffira. Voyez, décidez-vous afin que je ne cherche pas fortune ailleurs. Je n’ai plus de temps à perdre et j’en ai beaucoup à rattraperc, ainsi dépêchez-vous car je ne vous attendrai plus.
Il fait un temps qui vous ressemble. Le soleil reluit, avec une température de 12 degrésd au-dessous de zéro. Votre génie rayonne et votre cœur est de glace, c’est pas réchauffant pour ceux qui vous aiment. J’en sais quelque chose, moi qui vous parle en grelottant et qui me morfondse en vous attendant. Il est vrai que pour me réchauffer j’ai la certitude de ne pas vous voir de toute la soirée et l’incertitude de vous avoir quelques minutes dans la journée. Avec cela, on peut souffler dans ses doigts et sur son feu si on ne veut pas crever de l’onglée rentrée et d’un amour à la glace. Taisez-vous, baisez-moi et prouvez-moi que vous êtes très CHAUD.

Juliette

Leeds, BC MS 19c Drouet/1847/11
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen

a) « gourvernante ».
b) « tout ».
c) « rattrapper ».
d) « degré ».
e) « morfond ».


28 février [1847], dimanche après-midi, 3 h. ½

Je suis plus enfumée que jamais, mon pauvre petit homme, et je ne sais pas comment tu pourras rester chez moi une minute, à moins de demeurer dans la salle à manger [2]. Tout à l’heure, probablement, je ferai une invasion chez la propriétaire car cela passe toutea espèce de tolérance. Que deviens-tu, mon Toto chéri, à quoi penses-tu. Justement, te voici. Quel bonheur !!!!!!!!!b

6 h.

Déjà parti, mon bien-aimé, et pour jusqu’à demain. Et tu veux que je ne sois pas triste, comme si cela était possible, t’aimant comme je t’aime et ayant mis toute ma joie et tout mon bonheur dans mon amour. Tout ce que je peux faire, c’est de ne pas pleurer, de ne pas me livrer à un inutile désespoir, d’avoir du courage et de la résignation, mais rien au-delà de ces trois choses, à moins de te mentir et de simuler un semblant de sourire qui se change en grimace dès que je veux l’essayerc.
Je t’ai laissé emporter le petit dessin avec l’espoir que tu m’en feras bientôt un autre. Si tu abuses de cette candide confiance, une autre fois tu ne me trouveras plus si complaisante et je confisquerai au passage tout ce qui me tombera sous la griffe. En attendant, faites des heureux ce soir, pourvu que ce ne soient pas des heureuses, je vous le permets. Pensez à moi et aimez-moi, je n’en ai jamais plus eu besoin car je ne t’ai jamais plus regretté, plus désiré et plus adoré.

Juliette

Leeds, BC MS 19c Drouet/1847/12
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen

a) « tout ».
b) Il y a neuf points d’exclamation.
c) « esseyer ».

Notes

[1En 1830 commence la colonisation de l’Algérie qui deviendra constitutionnellement territoire français en 1848. En 1847, le maréchal Bugeaud démissionne de son poste de gouverneur général de l’Algérie et Louis-Philippe nomme le duc d’Aumale, son quatrième fils, pour le remplacer. Son épouse, la duchesse d’Aumale, devient donc « gouvernante des pays d’Afrique » (La Mode  : revue des modes, volume 52, novembre 1847).

[2Le 10 février 1845, Juliette a déménagé au no 12 de la rue Sainte-Anastase. Dans sa lettre du 8 janvier 1846, elle se plaint de la fumée qui emplit son logis à cause de « crevasses dans les murs ».

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