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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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20 juin 1849

20 juin [1849], mercredi matin, 7 h.

Bonjour, mon amour adoré, bonjour, mon sublime bien-aimé, bonjour. Je me prosterne avec vénération devant ta divine générosité et je baise avec passion toutes les admirables perfections de ton cher petit corps, bonjour, bonne santé et bonheur. Je ne t’ai pas écrit hier au soir parce que j’ai eu la visite du médecin et celle d’Eugénie. Tout cela m’a conduit trop tard dans la soirée et puis j’étais vaincue par la fatigue. Heureusement que c’est fini tous mes lessivages d’abord, je n’aurais pas pu les continuer par ordre de M. Leboucher qui ne veut pas que je me fatigue et par ordre de mes jambes et de mes reins qui refusaient le service. J’avais fait venir Eugénie pour lui dire ta conservation avec Mérimée et Vitet et puis encore pour lui demander des renseignements sur le séjour à Rouen. Il paraît tout bonnement que Vilain a retenu des chambres à l’Hôtel de Paris sur le quai pour y recevoir Toto, Eugénie, moi, dans le cas ou j’aurais voulu y venir. C’est aussi simple que cela. Mais ce qui l’est moins, c’est que sur la supposition trop fantastique de notre excursion à Rouen, dimanche, elle a voulu à toute force en écrire à ce pauvre Vilain et la lui annoncer comme une certitude, malgré mes avertissements et l’affreuse mystification que cela lui fera, la chose n’ayant pas lieu. Elle prétend, Eugénie, que c’est pour te forcer à y aller et que tu n’as pas le droit de faire de ces fausses joies au MONDE dans un temps d’épidémie. Quant à moi, je ne me leurre pas d’un si grand bonheur et je sais trop bien que je resterai accrochéea à mon clou jusqu’à ce que je tombe en poussière.

Juliette

MVHP, MS a8223
Transcription de Michèle Bertaux et Joëlle Roubine

a) « accrocher ».


20 juin [1849], mercredi, 7 h. ½

Je me rabiboche de ma stérile journée d’hier, mon Toto, en te gribouillant avec fureur tout ce qui se passe dans moi et autour de moi. D’abord, je t’aime, ce qui est trop [connu  ?], ensuite je t’adore, ce qui est prouvé, que je te désire et que je t’attends toujours dans la vie et ce qui est patent pour tout le monde. Voilà pour l’intérieur, quant à l’extérieur c’est moins agréable, d’un côté les cacaotiers qui ont infecté ma rue toute la nuit et fait un affreux bruit qui m’a empêché de dormir plus le fameux SAUVAGE qui me demande 4 F. pour me faire une clef et changer la garniture de ma serrure afin que l’autre clef ne puisse pas servir dans le cas ou Suzanne l’aurait perdue dans le quartier, plus un verrou de sûreté que je me décide à ajouter à cette affreuse porte mal jointe et qui ne tient pas, au risque, quand toutes ces précautions seront prises de n’avoir plus rien à voler chez moi, le plus précieux ayant servi à payer la serrure et le serrurier puis enfin des pavots qu’on est allé chercher pour vous et qu’on a payé plus chera que d’habitude à cause du choléra qui m’a fait une immense consommation. Tout cela ne tient à rien moins qu’à assécher ma pauvre grenouille qui n’était déjà pas très enflée. Si Féau ne vient pas à mon secours en me vendant mes nippes je serai obligée de mettre cette fameuse clé de sureté que je fais faire en ce moment-ci : SOUS LA PORTE. Voilà, mon amour, l’état moral, physique et financier de votre pauvre Juju. Il n’est pas très drôle.

MVHP, MS a8226
Transcription de Michèle Bertaux et Joëlle Roubine

a) « chers ».


20 juin [1849], mercredi, 10 h. du matin

Je te l’ai déjà dit, mon Toto, je tiens à me rabibocher de ma journée d’hier et à ne pas perdre une seule de mes pattes de mouche, c’est pourquoi je me dépêche de me rattrapera sans pour cela manquer d’être prête à midi ½. Je voudrais aujourd’hui ne pas manquer de te conduire à l’Assemblée car je commence à trouver le temps un peu bien long depuis samedi. En somme, je ne t’ai pas vu en tout une heure depuis quatre jours quand j’aurais besoin pour mon bonheur que chaque heure fisseb quatre jours. Je suis triste, triste, il y a au-dedans de moi une sorte de solitude qui m’effraye et me décourage. Il y a si longtemps qu’une vraie joie n’est entrée dans mon âme qu’il me semble qu’il n’en n’entrera plus jamais et que mon pauvre amour est destiné à vivre seul dans mon cœur à tout jamais. Cher bien-aimé, je te demande pardon, voici que je m’abandonne encore à la tristesse quand je devrais être pleine de reconnaissance et de résignation envers le bon Dieu qui t’a conservé à moi et qui t’épargne dans tous ceux que tu aimes de l’affreux fléau qui frappe presque toutes les autres familles [1]. Béni soit-il et toi aussi, mon adoré, et je suis bien heureuse.

Juliette

MVHP, MS a8224
Transcription de Michèle Bertaux et Joëlle Roubine

a) « rattrapper ».
b) « fissent ».


20 juin [1849], mercredi matin, 10 h. ½

Je ne sais pas si tu iras à l’Assemblée parce que je n’ai pas bien compris hier si tu croyais ta présence indispensable dans le bureau ? Mais dans tous les cas, je serai prête à t’y conduire à midi et demi. Hier, M. Leboucher affirmait que tu ferais largement de prendre un peu de repos et de changer un peu d’air. Je ne te dis pas cela pour t’influencer en vue de Rouen sur lequel je n’ai jamais osé compter mais pour te donner un avis que je crois important pour ta santé. Tu en feras ce que tu voudras, ce n’est que trop sûr, mais si tu étais sage, tu prendrais un peu de loisirs et de repos, surtout dans ce moment où les affaires politiques sont un peu plus calmes. Maintenant que je t’ai dit ce qu’ordonnent la prudence et la faculté, je me tais sur ce qu’auraient envie d’ordonner l’amour et Juju. D’abord, tu n’es pas mon domestique, je ne le sais que trop, et tu n’as pas envie de m’obéir. Tout cela, mon petit homme, fait que je ne me fais aucune illusion sur mon dimanche prochain et que je conserve peu d’espoir sur mes pauvres culotte si longtemps attendues et tant de fois remises et ajournées. À force d’espérer on désespère, ce n’est pas moi qui le dis mais je sens davantage de jour en jour la vérité de ces quatre mots peu gais et pas du tout consolants. Je t’aime pour me redonner du courage et de la patience. Tâche de venir le plus tôt possible.

Juliette

MVHP, MS a8225
Transcription de Michèle Bertaux et Joëlle Roubine


20 juin [1849], mercredi soir, 10 h. ½

Je ne te verrai probablement pas ce soir, mon bien aimé ? Mais pour que l’absence soit moins longue et moins difficile à supporter, je tâche de me rapprocher de toi le plus près possible par la pensée. Je suis allée chez Eugénie tantôt et j’ai été bien étonnée d’y rencontrer Vilain qui venait d’y arriver sur le seul avis d’Eugénie de la possibilité de notre visite à Rouen. Je pense pourtant qu’il avait quelque autre motif de se déplacer car autrement ce serait fou et cela ne s’expliquerait pas suffisamment. Quoi qu’il en soit, il te supplie ardemment de faire ce petit voyage qui le rendra le plus heureux des hommes outre le service que cela lui rendra près du Grégoire, qui n’est rien moins qu’aimable et bien disposé quoiqu’en disenta Mérimée et Vitet. Il n’y a de prières et de supplications que ce pauvre Vilain ne m’aitb faites pour te les transmettre, comme si cela dépendait de toi. Quant à moi, mon adoré, tu sais que je n’y compte pas et que ce sera un bonheur inattendu pour moi si, par impossible, tu réussissais à réaliser ce trop charmant projet. J’ai eu la visite ce soir de M. Cacheux et de M. Guérard, toujours de braves gens, mais de plus en plus insignifiants. Cependant, le père Cacheux est dans l’enthousiasme de tes deux discours à la tribune et dans les bureaux. Moi je fais plus que t’admirer. Je t’aime à deux genoux. Bonsoir, bien aimé, pense à moi et aime-moi un peu si tu veux que je vive.

Juliette

MVHP, MS a8227
Transcription de Michèle Bertaux et Joëlle Roubine

a) « dise ».
b) « m’aient ».

Notes

[1Une épidémie de choléra sévit de nouveau.

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