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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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2 décembre [1845], mardi, 9 h. ½

Bonjour, mon petit bien-aimé, bonjour, toi, bonjour, vous, bonjour, mon Toto adoré, je vous aime, et vous ? Cher bien-aimé, as-tu bien dormi cette nuit, t’es-tu couché de bonne heure ? Quand je dis de bonne heure, je m’entends, c’est-à-dire si tu t’es couché en me quittant ? Tous les matins, je m’adresse cette question à laquelle je me réponds tout de suite sans t’avoir vu, connaissant tes habitudes de travail excessif et immodéré.
Cher bien-aimé, comment vas-tu ce matin ? Quand te verrai-je ? Quand sortirons-nous ensemble ? Tu sais que je suis toute prête maintenant que j’ai une robe et un chapeau. La première fois que tu me le proposerasa, j’accepterai avec enthousiasme. Je ne te parle pas de culotte parce que je sens bien que ce serait inutilement. Mais ce n’est pas l’envie qui me manque. Malheureusement toutes mes envies n’aboutissent à rien et j’en suis pour mes frais de désirs. Aujourd’hui, par exemple, j’aurais bien voulu voir Hernani [1] mais c’est impossible, je le sais et je me résigne tant bien que mal. Je passe ma vie à me plaindre et à te regretter, mon bien-aimé, à te désirer et à t’aimer. Je ne sais pas faire autre chose et tu ne peux pas m’en vouloir d’être ainsi puisque c’est par toi et pour toi que je le suis. Tu dois au contraire, pour être juste, m’en aimer davantage et faire tous tes efforts pour être avec moi le plus possible. Je t’aime, je t’adore, je te baise mille millions de fois.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16361, f. 203-204
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « tu me le proposera ».


2 décembre [1845], mardi soir, 8 h.

J’ai bien envie de prendre mes jambes à mon cou et de courir après vous, mon cher petit scélérat. Il est probable que je vous trouverais installéa au fond d’une bonne loge du Théâtre-Français [2]. Autrefois vous n’y seriez pas allé sans moi, sous aucun prétexte. Maintenant tout est changé et vous ne sortez plus du tout avec moi quelque chose qui arrive. Je voudrais ne pas te parler de cela, mais cela me vient malgré moi. Cependant je sais par expérience qu’on ne gagne rien de bon à se plaindre, au contraire. Il vaut donc mieux que je me résigne en apparence et que j’accepte ta présence au théâtre ce soir comme une chose toute simple et tout à fait insignifiante pour notre amour, quitte à en penser ce que je voudrai ou ce que je pourrai. Juju est une vieille bête, Juju est une vieille jalouse, Juju aura des coups mais Juju n’est pas grêlée et Juju a raison. Baisez-moi, vous, et tâchez de m’être bien fidèle si vous tenez à vos précieux jours. Vous connaissez mon EUSTACHE [3], je ne vous dis que ça. Sur ce, baisez-moi encore et mieuRE que ça et ne venez pas trop tard. Je vous en prie, je vous en supplie de toutes mes forces.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16361, f. 205-206
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « installer ».

Notes

[1Hernani est repris ce 2 décembre au Théâtre-Français. Le drame sera joué les 18 et 21 décembre 1845.

[2Hernani est repris ce 2 décembre au Théâtre-Français. Le drame sera joué les 18 et 21 décembre.

[3Juliette menace souvent Victor de le tuer s’il est infidèle. Elle fait ici référence à un couteau très populaire, existant déjà sous Louis XIV, perfectionné par Eustache Dubois, et que l’on voit apparaître sous ce nom dès 1782.

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