Université de Rouen
Cérédi - Centre d'étude et de recherche Editer-Interpréter
IRIHS - Institut de Rechercher Interdisciplinaire Homme Société
Université Paris-Sorbonne
CELLF
Obvil

Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

Accueil > Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo > 1845 > Mai > 3

3 mai 1845

3 mai [1845], samedi matin, 11 h.

Bonjour, mon Toto aimé, bonjour, mon cher petit espiègle, bonjour, toi, bonjour, vous. Il me semble voir un aigle jouer avec des ours quand tu t’escrimesa contre Cousin, Girardin et autre Sainte-Beuve de la ménagerie académique [1]. Je voudrais être dans un petit coin pour les voir retomber lourdement sur leur dix-septième lettre de l’alphabet après avoir essayé de poser leurs GROSSES pattes sur tes grandes ailes. Ce serait un spectacle plus amusant que celui de voir tomber les plâtras dans mon jardin. J’ai pris un bain ce matin, mon amour. Je suis à l’état de Vénus sortant de LONDRES [2], capitale de l’Angleterre, excepté que je suis un peu plus vêtue. Je vous donne cette nouvelle pour ce qu’elle est. Vous en ferez l’usage que vous voudrez.
Dînes-tu aujourd’hui, mon Victor bien-aimé ? J’envoie acheterb des asperges dans cet espoir. Quant aux autres provisions, j’attendrai pour les faire que tu sois venu m’affirmer que tu viendras ce soir. J’ai reçu une lettre de ma pauvre péronnelle. Je m’étais trop hâtée de l’accuser cette nuit. Du reste, sa lettre est toute charmante en ce qui me concerne, mais elle est encore amère pour son père. On sent qu’elle a été froissée profondément dans son amour pour lui et dans son amour-propre filialc. Je ferai revenir tout cela à son état naturel, je l’espère, la prochaine fois que je la verrai. En attendant, je te baise des millions de fois, toi, et je t’attends de toutes mes forces.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16359, f. 125-126
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « tu t’escrime ».
b) « j’envoyer acheté ».
c) « fililial ».


3 mai [1845], samedi soir, 6 h. ¾

Ma joie s’est convertie en tristesse, mon adoré, depuis que j’ai perdu l’espoir de te voir ce soir. Hélas ! je ne te verrai probablement pas cette nuit, car tu reviendras tard et pas seul. Quel calice, mon Dieu, que la vie pour moi. Chaque fois que je crois pouvoir rafraîchira mon âme dans une goutte de bonheur, c’est la plus amère déception qui m’arrive. Pas un jour ne se passe sans que j’en avale deux ou trois par jour. Vrai, le bon Dieu n’est pas juste pour une pauvre créature comme moi. Aux unes, il donne tout. Aux autres, et je suis une des premières parmi ces autres-là, il ne donne rien du tout. J’ai le cœur gros. Je me retiens pour ne pas éclater en sanglots devant ma servante qui n’y comprendrait rien et dont la sollicitude absurde m’importune sans me soulager. Mais dès que je serai seule, je pleurerai à mon aise. Je ne t’en veux pas, mon bien-aimé, je souffre. Ce n’est pas de ma faute. Tu sais que j’ai mis tout mon bonheur dans ta présence, toute ma vie dans ton amour. Je ne me suis réservé aucune compensation. Quand tu me manques, ce qui arrive presque toujours maintenant, tout me manque. C’est pour cela que je suis si malheureuse.

Juliette

Tu es venu ; sois béni, mon adoré, pour le bien que tu m’as fait. Je baise tes pieds. Je t’aime.

BnF, Mss, NAF 16359, f. 127-128
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « raffraîchir ».

Notes

[1Victor Cousin, Saint- Marc Girardin et Sainte-Beuve sont tous trois académiciens.

[2Jeu de mots avec le thème artistique repris de nombreuses fois depuis l’Antiquité, autour de la naissance de Vénus : « Vénus sortant de l’onde ».

SPIP | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0
(c) 2018 - www.juliettedrouet.org - CÉRÉdI (EA 3229) - Université de Rouen
Tous droits réservés.
Logo Union Europeenne