30 janvier [1849], mardi après-midi, 1 h. ½
Eh ! bien, mon adoré, est-ce que je ne vais pas bientôt te voir ? Ma pensée comprend et se plie à toutes les exigences du moment, à la position particulière que te fonta ton génie et ta sublime générosité. Mais mon cœur ne comprend rien, sinonb qu’il t’aime et qu’il souffre loin de toi. Aussi, mon adoré, je cède à son impatience et je te crie du fond de mon âme de laisser là toutes tes affaires et de venir bien vite auprès de moi qui t’attendsc avec la force de quatre-vingtsd millions d’amours attelés au même cœur.
Ainsi que je te l’ai dit hier, je suis allée chez la mère Sauvageot que je n’ai pas trouvée, occupée qu’elle était de vendre son trousseau dans la crainte d’événements sérieux [1]. Son mari était parti le matin en garde nationale, à ce que m’a dit la jeune fille. J’oubliais de te dire que je m’étais approchée des groupes sur la place Bourgogne et que j’avais écouté divers ORATEURS. J’ai même parlé à deux ouvriers pour m’informer si l’aide de camp du roi Jérôme avait été blessé par accident ou par assassinat. C’était son cheval qui s’était abattu et renversé sur lui, m’ont-ils répondu. De là je suis allée au Marais…. La suite à l’autre numéro. Je t’adore. Juliette
Leeds, BC MS 19c Drouet/1849/37
Transcription de Véronique Heute assistée de Florence Naugrette
a) « fais ».
b) « si non ».
c) « t’attend ».
d) « quatre vingt ».
e) « nationale ».
30 janvier [1849], mardi après-midi, 2 h.
Je continue mon rapport [2] : je suis allée par les rues pour m’assurer dans quel [état ?] était l’intérieur de Paris. La rue Saint-Jacques dans toute sa longueur était gardée par des postes de distance en distance et des sentinelles à toutes les petites rues. Du reste aucune hostilitéa apparente, du moins dans les nombreux ouvriers qui montaient et qui descendaient la susdite rue à la Montagne Sainte-Geneviève. Même précaution et même tranquillité sur les quais. Rien absolument rien, pas même de flâneursb. Rue Saint-Antoine dans toute sa longueur, même chose que dans le faubourg Saint-Jacques, beaucoup d’ouvriers dehors, mais rien de violent dans l’attitude. Je suis allée chez la mère Antoine pour me renseigner. Elle m’a dit que vers onze heures il y avait eu une panique et qu’on avait été sur le point de fermer toutes les boutiques du quartier, mais que cela s’étaitc tranquillisé et qu’on end serait quitte pour manger du pain rassis et de la viande peu fraîche pendant huit jours à cause des provisionse qu’on s’était empressé de faire dans l’espoir d’un malheur. Enfin je me suis rendue chez Joséphine que j’ai trouvée assez calme, son émotion ayant eu le temps de se calmer. Il paraît que les ouvriers du Marais étaientf furieux de ce qu’on avait battu le rappel. De chez elle j’ai été prendre l’omnibus de la Bastille en ayant soin de passer par les arcades et la rue Royale pour voir l’entrée du faubourg Saint-Antoine. Le boulevardg Bourdon jusqu’à la colonne était occupé par l’artillerie. Beaucoup d’ouvriers étaienth rassemblés, mais tout était calme. Je suis rentrée chez moi épuisée de fatigue, mais à peu près tranquille. Le soir à neuf heures j’ai envoyé chez toi. Tu venais de sortir et tu n’étais resté que très peu de temps à ce qu’a dit le portier. Cela me fait croire que tu seras allé au Moniteur [3] et que j’aurai le bonheur de te lire tout vif tantôt. Mais dépêche-toi donc de venir si tu ne veux pas que je crève d’impatience.
Juliette
Leeds, BC MS 19c Drouet/1849/38
Transcription de Véronique Heute assistée de Florence Naugrette
a) « hostilitée ».
b) « flâneur ».
c) « c’était ».
d) « n’en ».
e) « provisitions ».
f) « était ».
g) « boulevart ».
h) « était ».