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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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12 mars 1844

12 mars [1844], mardi matin, 10 h. ¾

Bonjour, mon petit Toto bien aimé. Bonjour, mon adoré. Ainsi que je l’avais prédit les fameux coquillages [1] ne sont arrivés que ce matin. Ce sont douze coquilles de Saint-Jacques comme on en sert chez les restaurateurs de Paris. Tout cela ficelé et très proprement arrangé. Ce qui me console, c’est que ton rhume sera suffisamment passé pour trouver quelque plaisir à manger ce mets bas-breton si il est bon. Il y en a douze coquillages, je t’en donne six, les six autres seront partagés entre Mme Pierceau, ma fille et moi. Du reste, mon cher petit gueule gueule, je dois te dire que cela sent très bon et a l’air très appétissant. Cela m’a coûté très peu cher de port : 15 sous. Ce n’est pas la peine de s’en passer.
Jour Toto, jour mon cher petit o, je vous aime. Vous êtes mon Toto ravissant mais je voudrais vous avoir un peu plus souvent et vous garder un peu plus longtemps tous les jours. Si vous étiez bien gentil aujourd’hui vous me mèneriez chez Mme Pierceau. Je lui porterais ce coquillage qui lui ferait peut-être quelque plaisir, à la pauvre créature et vous me donneriez la joie de marcher appuyée sur votre bras. Mais je n’y compte pas, vous aurez sans doute trente-six candidats à fouetter [2] et vous ne penserez pas à votre pauvre Juju.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16354, f. 281-282
Transcription de Chadia Messaoudi assistée de Chantal Brière et Florence Naugrette


12 mars [1844], mardi soir, 7 h. ½

Je t’ai vu, mon adoré, et cet éclair de joie a suffia pour changer mon amertume en douceur, ma tristesse en sérénité, mon découragement en courage et en patience. Tu vois ce que peut faire sur mon pauvre cœur brûlé d’amour une goutte de bonheur.
Je te rends grâce, mon adoré, pour ce rayon d’amour que tu viens de faire briller dans ma vie. Vois-tu, mon cher bien-aimé, c’est bien vrai que je t’aime trop. Cela finit par absorber toute mon existence et il ne me reste plus rien pour faire face à la vie prosaïque de tout le monde. Ces désirs, ces aspirations continuelles non satisfaits me dessèchent et me brûlent le cœur. Mon Toto adoré, je pense à toi, je t’aime, je n’ai pas d’humeur, je n’ai que de l’amour et de l’adoration pour toute ta douce et ravissante personne. Ne t’inquiète pas de moi, tu viens de me donner du bonheur, du courage et de la confiance pour toute la soirée.
Je voudrais bien que ces coquillages soient de ton goût et de celui de toute ta maison. Je vais y goûter tout à l’heure mais en ma qualité de basse-brête [3], il est probable que j’aurai la partialité nationale et que je trouverai cela exquis. La pauvre mère Pierceau se fait une fête de manger sa coquille demain [4]. Pauvre femme, tant mieux, c’est toujours autant de gagnéb jusqu’au jour de l’entière délivrance. Je t’aime mon Toto.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16354, f. 283-284
Transcription de Chadia Messaoudi assistée de Chantal Brière et Florence Naugrette

a) « suffit ».
b) « gagner ».

Notes

[1Elle attend une livraison de coquillages envoyée par sa famille de Bretagne.

[2Deux sièges se sont libérés à l’Académie française et plusieurs candidats, dont Vigny et Sainte-Beuve, se disputent ces places.

[3Brête est le féminin de « breton » soit « bretonne ». « Basse-brête » signifie donc ici « Basse-bretonne ».

[4Juliette Drouet a offert à Mme Pierceau des coquilles de Saint-Jacques qu’elle a reçues la veille.

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