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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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7 mars 1844

7 mars [1844], jeudi matin, 9 h. ½

Bonjour mon Toto bien aimé, bonjour mon cher amour, comment vas-tu mon pauvre petit homme ? Je t’ai préparé ta tisane, elle cuit dans ce moment-ci, elle sera prête tout à l’heure. Tu serais bien gentil d’en venir boire tout de suite, je suis sûre que cela te ferait du bien. Il ne faut pas négliger ce rhume qui ne sera rien, je l’espère, avec des soins.
Comment as-tu passé la nuit, mon pauvre amour ? As-tu pris un peu de repos ? J’ai pensé et rêvé de toi toute la nuit, mon cher bien-aimé, cela ne pouvait pas être autrement puisque j’en rêve toutes les nuits et que j’y pense continuellement, mais il y a des rêves plus ou moins tristes, plus ou moins gais, mais ces derniers ne m’arrivent pas souvent. J’ai bien besoin de te voir, mon Toto, pour m’assurer que tu vas mieux qu’hier et pour te faire boire ta tisane. Je voudrais bien aussi que tu pensassesa à m’apporter cette fameuse botte [1]. Le temps est bien doux aujourd’hui mais il peut changer dans cinq minutes et il serait prudent d’avoir de bonnes chaussures aux pieds.
Tout ce que je te dis là je te l’ai déjà dit au moins vingt fois. Je me répète comme tu vois, cela tient à ce que tu ne m’obéis pas souvent et encore plus à la pauvreté de mon imagination. Je ne sais que t’aimer et puis c’est tout. Le reste ne me regarde pas. Je ne veux pas que tu souffres, je ne le veux pas, tu n’en as pas le droit, toi. Je baise ton pauvre front pour le guérir, je donnerais ma vie pour t’épargner une souffrance, pauvre adoré, c’est bien vrai, va. Si tu voyais mon cœur tu verrais combien c’est vrai. Dépêche-toi de venir mon cher petit, je t’attends et je te désire de toute mon âme.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16354, f. 261-262
Transcription de Chadia Messaoudi assistée de Chantal Brière et Florence Naugrette

a) « pensasse ».


7 mars [1844], jeudi soir, 7 h. ¼

Je vous conseille en effet, mon cher petit enrhumé, de venir voir pour qui je réserve mes touffes triomphantes. Cela me fera de l’effet. Je vous engage à vous munir de votre poignard de Tholaide [2], ce sera une précaution utile, c’est moi qui vous le dis. En même temps je vous abreuverai de tisanea et de sirop de guimauve dont vous avez au moins autant besoin que de votre bonne lame [3] ?
Jour Toto, jour mon cher petit o, je devrais vous en vouloir et vous bouder de m’avoir laissée toute la journée dans une atroce inquiétude. Si vous n’étiez pas autant enrhumé, cela ne se passerait pas comme cela ! Soyez tranquille, dès que vous serez dans votre nez normal je m’en donnerai une bosse SUR LA VÔTRE. En attendant, je bisque de rage et j’étranglerais Floride [4] si je ne me retenais pour lui apprendre à se taire. Quel effroyable ourvari font ces animaux-là ! Décidément tu devrais m’en prendre un des deux. C’est-à-dire Jacquot car pour Cocotte, j’y tiens malgré tous ses défauts.
Je profite d’un petit temps de silence pour t’embrasser sur toutes les coutures. Je vous adore Toto mais prenez garde à vous. Je ne vous dis que ça.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16354, f. 263-264
Transcription de Chadia Messaoudi assistée de Chantal Brière et Florence Naugrette

a) « tisanne ».

Notes

[1Juliette a fait faire une paire de nouvelles bottes à Victor Hugo auprès de Dabat. Or, la botte droite ne lui va pas et Dabat doit la refaire.

[2Graphie fantaisiste pour Tolède.

[3« La lame ou la dague de Tolède » apparait souvent comme attribut symbolique des écrivains romantiques engagés dans leur combat politique et poétique. Dans sa caricature Grand chemin de la postérité, Benjamin Roubaud représente Hugo chevauchant Pégase à la tête d’un cortège de partisans. La légende précise : « Roi des Hugolâtres, armé de sa bonne lame de Tolède et portant la bannière du romantisme ». L’expression est aussi à relier au drame qui fit la légende de la bataille romantique : Hernani. Le personnage de Don Ruy Gomez réclame à ses valets « Ma hache, mon poignard, ma dague de Tolède ! » (I, 3).

[4Jacquot, son perroquet, ne sait dire que « Florida ».

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