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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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29 décembre [1843], vendredi midi

Je suis honteuse de l’heure à laquelle je t’écris, mon Toto, surtout quand je pense que tu n’as peut-être pas pris de repos du tout, toi. Voici ce qui m’arrive depuis plusieurs jours : c’est une insomnie absurde qui m’empêche de dormir jusqu’à quatre ou cinq heures du matin et puis je m’endors après pour toute la matinée.
Mais toi, mon Toto, comment vas-tu ? As-tu pris un peu de repos ? Ta tête et tes pauvres yeux vont-ils bien ? Tu étais bien accablé et bien fatigué cette nuit, mon cher bien-aimé, et il y avait bien de quoi malheureusement. Tous tes ennuis ne sont pas encore finis et ne le seront pas de quelques jours. Je ne puis pas m’habituer à voir ta ravissante petite figure grimaude et accablée comme elle l’était hier. Je crains toujours que ce ne soit contre moi. J’ai toujours peur que les forces te manquent pour porter le lourd fardeau de toute ma vie passée, présente et à venir. Aussi je regarde avec une double inquiétude pour ta santé et pour ton amour tous les symptômes de lassitude et de découragement qui apparaissent malgré toi sur ton noble visage si charmant et si doux. Cette préoccupation est tellement forte chez moi que j’ai fait ce rêve hideusement compliqué à ce sujet cette nuit. Mon Toto bien-aimé, si tu étais embarrassé à la fin de l’année à cause de moi il faudrait me le dire. Tu sais que nous avons encore quelques ressources que je t’ai déjà offertes et que je t’offre plus que jamais. D’ailleurs tout est toi et moi corps et âme par dessus le marché.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16353, f. 223-224
Transcription d’Olivia Paploray assistée de Florence Naugrette


29 décembre [1843], vendredi soir, 7 h. ½

Je vais bien mon cher petit bien-aimé. Tout ça n’est rien, une mauvaise digestion, le voisinage d’une mauvaise époque, voilà les seules causes de ma légère indisposition de tantôt. Aime-moi et je me porterai mieux que le Pont-neuf et son bonhomme. Je ne prendrais pas de bain de pieds parce que je vais bien et que je crains de me remuer. D’ailleurs le mieux étant l’ennemi du bien je m’en tiens à mon bien sans courir au mieux que je n’attraperaisa peut-être pas.
Je t’écris encore plus mal qu’à l’ordinaire, mon Toto, mais c’est un peu ta faute puisque tu as emporté le bon canif et que je ne peux plus tailler mes plumes. Cela tient aussi à la position ridicule que je suis forcée d’avoir dans mon état. Toutes ces choses réunies font que mes pattes de mouche sont encore plus informes que d’habitude. Encore si le sens valait mieux que la forme, ce ne serait que demi mal mais je suis aussi bête que j’écris mal, c’est une consolation. Malheureusement je ne peux attribuer ce second inconvénient aux mauvaises plumes, à la position grotesque de mon juste milieu, à moins de faire comme l’homme qui ne pouvait pas écrire l’orthographe avec des plumes d’auberge. D’ailleurs ça m’est égal. On n’a pas besoin d’esprit pour aimer, j’en suis une preuve vivante car je vous aime mieux que toutes les femmes d’esprit réunies ensemble ne pourraient le faire en supposant qu’elles vous aiment de tous leurs cœurs.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16353, f. 225-226
Transcription d’Olivia Paploray assistée de Florence Naugrette

a) « attrapperais ».

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