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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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12 décembre [1842], lundi, midi

Bonjour, mon Toto bien-aimé, bonjour mon cher amour adoré, je suis honteuse de t’écrire si tard mais c’est que j’ai dormi jusqu’à présent sans pouvoir m’en empêcher, quoiquea j’eusse passéb une très bonne nuit. J’en suis vraiment honteuse et je ne sais pas à quoi attribuer ce luxe de sommeil et ce surcroit de paresse. Encore, si c’était auprès de toi, ce serait pardonnable et cela aurait un sens, mais faire de la paresse toute seule, c’est fort bête et très peu drôle. Quand je pense que peut-être tu as veillé toute la nuit, je me donnerais des coups de poings dans le nez pour m’apprendre à faire de la daudinerie [1] ridicule et absurde. Pauvre ange bien aimé, je suis vraiment furieuse contre moi car c’est par trop bête. Comment vas-tu, toi, mon cher adoré ? Comment m’aimes-tu ? Je t’aime, moi, mon cher petit homme. Je t’aime toujours, éveillée ou endormie, je t’aime, je pense à toi ou je rêve de toi. Quand donc pourras-tu venir, mon Toto ? Voilà près d’un mois que je ne t’ai donné à déjeuner. je n’appelle pas déjeuner ce petit moment tout court et tout échiqueté que tu m’as donné il y a huit jours quand j’étais encore souffrante. Il est bientôt temps, je pense, de me rabibocher. Si tu te laissesc envahir par les répétitions, Dieu sait quand ce sera fini et ce que je deviendrai pendant ce temps-là. Il faut donc vous dépêcher, mon amour, tandis qu’on en est encore à la distribution et à la collation des rôles [2] de venir déjeuner avec moi à tour de bras et de m’aimer idem.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16350, f. 273-274
Transcription de Laurie Mézeret assistée de Florence Naugrette

a) « quoi que ».
b) « passer ».
c) « laisse ».


12a [décembre 1842], samedib soir, 4 h. ¾

Où es-tu, mon cher adoré, pour que je t’envoie dans ma pensée mon âme tout entière ? Je suis bien seule et bien triste sans toi, mon cher bien-aimé, est-ce que tu ne vas pas bientôt venir ? Toute la journée, je me suis occupée de ma maison et j’ai fait l’exécution de cette pauvre blanchisseuse qui a pleuré et gémi à ce que dit Suzanne. Elle a dit qu’elle reviendrait mais je suis bien décidée, quelque triste que soit ce genre d’exercice, de ne pas la reprendre parce qu’en somme, cela me coûte trop cher et que c’est un abus absurde et qui a déjà duré trop longtemps. J’ai essayé de faire le brouillon Mme Marre. Mais il est tellement embrouillé que je doute que tu y puisses comprendre quoi que ce soit. Aussi, mon bien-aimé, quand je te demande de m’aider de ta rédaction dans des occasions aussi sérieuses que celle-ci, ce n’est pas pour abuser de ton repos et de ton style, c’est parce que je ne peux pas faire autrement. C’est pour cela que tu me vois si chagrine quand tu me refuses cet important service sous prétexte que cela t’ennuie. Enfin, tu verras ce soir la preuve évidente de mon incapacité et tu reconnaîtras toi-même la nécessité de me tirer d’embarras. Voici mon dernier morceau de papier, si tu ne penses pas à m’en apporter d’autre ce soir, je ne pourrai pas t’écrire demain à moins d’en acheter, ce qui est passablement ridicule, entre nous soit dit. Ma fille continue à ne pas m’écrire, ce qui est d’autant plus drôle qu’elle devait le faire tous les huit jours…….c

6 h. ¼

Je n’ai pas besoin de te réexpliquerd de nouveau l’étrangeté du silence de ma péronnelle, surtout après nos conventions, puisque je viens de te le dire, mon adoré. Merci, mon bon ange, de ta collaboration. Elle m’était bien nécessaire pour finir cette lettre si difficilement commencée. Merci aussi, merci mon Toto, de ton honnêteté et de [ta] fidélité de cœur, mon cher adoré bien aimé. Je t’aime aussi, moi, et je te suis bien fidèle de corps, d’esprit et de cœur. C’est bien vrai, mon beau et noble bien-aimé.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16350, f. 275-276
Transcription de Laurie Mézeret assistée de Florence Naugrette

a) Note ajoutée sous la date : « cf. l. du 10 déc. Blanchisseuse ».
b) Note ajoutée au-dessus : « lundi ».
c) Les sept points de suspension courent jusqu’au bout de la ligne.
d) « rexpliquer ».

Notes

[1Mot sans doute dérivé du verbe « dodiner » que Juliette orthographe « daudiner », signifiant « prendre soin de, choyer, bercer ». (Source : TLF). Il est également possible qu’il s’agisse d’un néologisme dérivé de la pièce de Molière, George Dandin.

[2Victor Hugo a lu Les Burgraves au Théâtre-Français le 23 novembre et est donc en train de monter la pièce.

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