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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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13 avril [1837], jeudi matin, 8 h. ¾

Bonjour vieux Toto, vous êtes bien bête, convenez-en, de n’être pas venu cette nuit comme vous en avez manifesté l’intention ? Si c’était la première fois que cela vous arrive, encore passe, mais sur 365 jours il y en a 360 de perdus avec vous. Je vous pardonne cependant mais à la condition que vous ne serez plus jamais malade. C’est bien assez que j’ai l’inquiétude de savoir si vous m’aimez encore sans y joindre celle de votre chère petite santé non pas que je n’aie un très grand bonheur à vous faire des petites tisanesa et à vous dorloterb. Je suis toute prête à le faire pourvu que vous ne souffriez pas. Je vous aime trop mon cher bien-aimé, oui je vous aime trop. J’en perds le peu d’esprit que j’avais, j’en deviens bête à ce point que je ne sais plus distinguerc le jour d’avec la nuit quand vous n’êtes pas là. Pour peu que cela continue je deviendrai tout à fait la pazza per amore [1]. Ça vous est égal, sans cœur ? Puisque vous n’êtes pas venu ce matin tâchez de venir plus tôt dans la journée que je ne perde pas tout au moins. J’entends mon bain qui arrive, je vais le prendre tant pis pour vous. Mais vous manquez de bonnes occasions d’aimerd et d’être aimé en ACTION car dans l’âme je vous aime toujours.

Juliette

BnF, Mss, NAF, 16330, f. 49-50
Transcription de Chantal Brière

a) « tisannes ».
b) « dorlotter ».
c) « distingué ».
d) « aimé ».


13 avril [1837], jeudi après-midi, 1 h. ¼

Eh bien ! mon cher petit homme est-ce que vous ne pensez plus à moi ? Est-ce que vous n’allez pas bientôt venir ? J’ai fait toutes mes affaires. Je vous ai attendu pour me retirer du bain mais vous seriez bien fâché de me rendre le moindre service aussi vous n’êtes pas venu. C’est gentil et pas cher et pas amusant du tout. Il fait très beau temps, votre petite tisanea est faite. Vous voyez que vous avez très peu de prétexte pour ne pas venir tout de suite. Je n’ose pas vous demander de me mener dîner chez Passoir [2]. Au train dont vous allez cela pourrait passer pour une grave indiscrétion et je tiens trop à votre opinion pour la risquer sur une simple proposition. Je vous demande seulement de venir très tôt, je vous demande de m’aimer un peu si vous pouvez. Je vous aime tant, moi, que ce serait bien injuste si vous ne me le rendiez pas un peu. Jour un petit bêtab qui ne marchez pas. J’étais très gentille en néréide ce matin, vous avez beaucoup perdu de ne pas me voir, il y a bien des gens qui s’en seraient léché la barbe et qui auraient bu toute l’eau de la baignoire sans être dégrisés. Mais vous, vous êtes une bête, rien de plus, rien de moins et je vous aime par-dessus le marché et de toute mon âme encore.

Juliette

BnF, Mss, NAF, 16330, f. 51-52
Transcription de Chantal Brière

a) « tisanne ».
b) « bêtat ».

Notes

[1Nina ou sia La Pazza d’amore (1789) est la traduction italienne par Giuseppe Carpani de Nina ou la Folle par amour, drame lyrique de Nicolas Dalayrac créé en 1786 à l’Opéra-Comique. La musique est celle de Giovanni Paisiello. Cette œuvre qui met en scène une femme fuyant un désespoir amoureux dans la folie connut un grand succès tout au long du XIXe siècle.

[2Restaurant à la mode, chantant et dansant. Situé rue du Faubourg du Temple, c’était le rendez-vous des acteurs et des auteurs du boulevard.

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