Samedi, [illis.] h. après midi
[mai 1835 parution Angelo ?]a
[Samedi 9 mai 1835 ?]
Mon cher petit Toto, je n’ai rien de mieux à te dire ni de plus charmant que ce qui s’est passé entre nous deux tantôt. Je craindrais même en enb parlant de laisser s’évaporer quelques parcelles précieuses de ce bonheur divin que tu viens de me donner. Aussi je le renferme au fin fond de mon cœur et mon âme par-dessus pour n’en pas laisser échapper une seule étincelle. C’est ainsi qu’on fait pour les essences rares et précieuses.
Lanvin vient de venir il y a à peu près une demi-heure. Je crains qu’il n’arrive pas à temps, ce qui me contrarierait beaucoup pour toi. La cause de son retard, c’est qu’il a attendu Pradier qu’il n’a pas trouvé malgré ça.
Cher petit homme, je vous attends pour vous baiser dix cent mille de fois seulement pour à présent. Dites donc, mon grand poète, je vous attends aussi pour vous admirer dans tous les sens, en longc, en larged, en bas, en haut, car j’espère que vous m’apporterez le fameux volume, ou la fameuse brochure, ou la fameuse pièce [1], comme vous voudrez, le nom n’y fait rien. Ce qui importe, ce sont vos pensées, c’est votre poésie, c’est votre génie, votre âme. Moi, je veux de vous d’abord, de toutes les façons en chair, en os, en esprit, en détail, en masse, en feuilles, en livres, en tout ! et en bien d’autres choses encore. J’espère que le hideux Jouslin vous aura envoyé une place quelconque et que vous me l’avez réservée pour moi toute seule. J’y compte ainsi. Arrangez-vous, tant pis.
Et puis je vous aime, et puis je vous adore, et puis je ne peux pas vivre sans vous, et puis je déraisonne, et puis je suis folle, et puis je vous aime.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16323, f. 295-296
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette
a) Note rajoutée sur le manuscrit d’une main différente de celle de Juliette.
b) « en n’en ».
c) « en longs ».
d) « en larges ».