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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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2 avril 1843, dimanche matin, 11 h. ½

Bonjour mon petit Toto chéri, bonjour mon amour bien-aimé. Comment vas-tu ? Comment vont tes yeux adorés ? J’ai encore rêvé de toi toute la nuit, mon beau petit homme, mais cette fois je n’avais pas mon ravissant petit enfant ; cependant j’étais heureuse. La représentation d’hier y est bien pour quelque chose. Il est impossible d’en avoir une meilleure dans les conditions où se trouve la pièce pour le moment. Nous verrons si le parti pris d’alterner la bonne et la mauvaise représentation persistera à la treizième. Je voudrais que Méry et ses compatriotes retournassent à cette treizième. Peut-être leur présence et le nombre cabalistique 13 rompraient-ils le charme qui a protégé ces immondes – gredins - jusqu’à présent. Il est vrai qu’il y a une autre présence fort plus redoutable que ces odieuses cabales. C’est Rachel dans un rôle nouveau [1]. Nous ne pouvons rien contre celui-là mais nous pouvons dire qu’en fait d’administration le théâtre est passé maître pour les maladresses de toutes sortes ; et celle de faire couper les représentations de ta pièce par une création nouvelle de Mlle Rachel est une des plus pommée [2] si ça n’est pas autre chose.
Je rabâche tous les jours à peu près la même chose. Cela tient à la pauvreté de mon imagination et surtout à l’excessive préoccupation de tout ce qui te touche. Pardonne-moi, mon Toto, cela prouve que je n’ai qu’une chose dans la tête : ton intérêt, qu’une chose sur le cœur : ton amour. Le reste de la vie n’existe pas pour moi.
Je t’écris tout de suite une grosse lettre parce qu’avec tous les nettoyages que j’ai à faire aujourd’hui et la mère Pierceau que j’attends à dîner je n’aurai peut-être pas le temps de t’écrire tantôt. Si tu pouvais avoir les fameux exemplaires aujourd’hui ça serait bien gentil, d’abord pour le Démousseau, ce serait une manière de le remercier. Quant à mon beau-frère [3], je renonce à t’en parler car cela a l’air d’une mystification à présent : en fait de primeur je le lui enverrai quand il plaira à Dieu et à toi de me le donner mais il y aura longtemps que tout le monde en aura [aux talons ?]. Je ne t’en veux pas. Je sais combien tu es obsédé mais cela me fait de la peine. Du reste n’en parlons plus, ce sera le mieux encore parce que je te fâcherais sans grand résultat.
Je vous aime, mon Toto : voilà le plus doux et le plus clair de mes bénéfices à votre service. Le reste pourrait être donné, sans grande perte, pour une épingle. Baisez-moi, tâchez de penser à moi et de venir tout à l’heure. Je voudrais bien que le temps reste brouillé comme hier et que les jours de représentation ne soient pas changés. Mon vœu n’est pas si insignifiant qu’il en a l’air car si tu gagnais un peu d’argent tu travaillerais moins ce printemps et peut-être pourrions-nous faire un petit voyage. Voilà pourquoi je suis si occupéea de ta pièce et de tout ce qui peut nuire ou favoriser la recette. En attendant, je regarde de quel côté vient le vent et je vous aime. Jour Toto, jour mon cher petit o, vous n’êtes pas gentil de ne m’avoir pas encore donné ce malheureux livre. Taisez-vous, je sais d’avance votre réponse. Et je sais que cela ne vous excuse pas à mes yeux. Baisez-moi monstre, je vous pardonne parce que je ne peux pas faire autrement. Mais si je pouvais vous tirer le nez, tout bonnement, je n’y manquerais pas. Baisez-moi encore pour vous apprendre à être un vilain malotru d’homme. C’est ce qui peut vous punir davantage. Baisez-moi encore.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16352, f. 3-4
Transcription de Olivia Paploray, assistée de Florence Naugrette

a) « occupé ».

Notes

[1Judith de Delphine de Girardin.

[2Expression figurée et familière : complet, achevé.

[3Son beau-frère Louis Koch, à qui elle destine un exemplaire des Burgraves, parus le 28 mars.

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