Jersey, 11 janvier [1853], mardi matin, 9 h.
Bonjour, mon cher petit roi citoyen, bonjour, ma chère petite majesté, bonjour, et baiser salvum fac rege Toto, voilà mon Te Deuma de ce matin pendant que vous ronflez en faux bourdon avec votre moucheron dynastique. Je ne vous demande pas comment s’est passéeb la fête du sacre hier et je m’importe peu de tous les grands dignitaires de la fève [1]. Tout ce que je désire savoir, c’est si vous avez un peu pensé à moi, si vous m’avez désiréec dans un petit coin et si vous m’avez aimée. Vous me le direz, j’espère tantôt. Pour cela je vais me dépêcher de faire mes affaires, de m’habiller et d’aller à St Hélier [2] pour les renseignements du bail [3] afin d’être revenue de bonne heure. De ton côté, mon cher bien-aimé tâche de venir le plus tôt que tu pourras, sans pourtant faire de tort à ton cher petit Toto dont je respecte les droits. Tu serais bien gentil, dans le cas oùd tu viendrais avant mon retour, de venir, au-devant de moi, par le chemin de Green Street afin que je sois plus tôt avec toi. Mais j’espère être revenue bien auparavant toi car je vais me dépêcher beaucoup.
Je souffre un peu ce matin. Voilà plusieurs nuits que je ne dors pas. Si ce n’était pour demander ces renseignements de location je ne serais pas sortie aujourd’hui tant je suis mal en train. Mais le temps nous presse d’ici à demain, aussi je prendrai mon courage à deux jambes tantôt et je te rapporterai tout ce que je trouverai de plus précis et de plus dégageant. En attendant, mon Victor bien-aimé, je te baise autant de millions de fois qu’il y a de secondes d’ici jusqu’au moment où je te reverrai.
Juliette.
BnF, Mss, NAF 16373, f. 39-40
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette et Gérard Pouchain
a) « te deum »
b) « passé »
c) « désiré »
d) « ou »
Jersey, 11 janvier [1853], mardi soir, 9 h. ½
Je ne veux pas abuser de votre crédit, mon cher petit homme, et je m’empresse de vous faire ma restitus immédiatement. D’ailleurs j’ai à vous remercier de la longue promenade que vous m’avez fait faire tantôt et de tous les AGRÉMENTS que vous me prodiguez tous les jours sous les formes les plus variées, comme : taisez-vous ! gardez le plus profond silence ! allez-vous en tout de suitea dans votre chambre sans feu et laissez-moi tranquille ; donnez-moi mes journaux ; j’ai des lettres à écrire. Enfin, tous les plus vifs plaisirs et toutes les folles joies de la création perfectionnée par la civilisation d’un ours blanc appelé Toto parce qu’il est toujours en retard. Ces devoirs accomplis, je reprends les manières familières d’une Juju qui ne doit rien à personne et je vais me rouler avec bonheur sur le velours de la blague indépendante. Cette volupté a son prix après les platitudes forcées d’une Juju à l’attache des gueuletonsb friands, des excursions pittoresques, des CIDRES [4]A GIORNO et des poules chérolles [5] relevées de Hongrois. Je ne suis pas fâchée d’avoir repris ma liberté, LIBERTÉ CHÉRIE, pour pouvoir vous dire votre fait carrément à l’avenir. Je casse le fil des saucisses avec lequel vous prétendiez m’enchaîner. Je romps toutes les honteuses entraves des petits soupers et des grandes orgies pour la vie sérieuse, l’oie austère et la bièrec lugubre. Je dis adieu aux vanités de Jersey et reste dans ma thébaïde [6] du Havre-des-Pas [7]. Telle est ma force.
Juju.
BnF, Mss, NAF 16373, f. 41-42
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette et Gérard Pouchain
[Blewer]
a) « toute suite »
b) « guelletons »
c) « bierre »