Guernesey, 6 juin [18]70, lundi matin, 4 h.
Boum !jour [1], mon cher adoré, bombardé en même temps par le canon et par le soleil. Voyant que je ne pouvais plus dormir j’ai pris le parti de me lever dès patronminette [2] et je m’en trouve bien. Je n’ai ouvert qu’un volet en gardant ma fenêtre fermée à cause du vent fort et froid qu’il fait ce matin. J’espère que ta nuit ne sera pas aussi écourtée que la mienne et que tu pionces encore à poings fermés. Je ne suis pas sans quelque inquiétude sur le temps qui me paraît tourner à l’aigre. Cela me serait bien égal si tes enfants ne devaient pas s’embarquer demain. Il est vrai que d’ici-là la girouette du bon Dieu a le temps de changer bien des fois ; espérons que ce sera en faveur de tes chers voyageurs. J’ai parlé à Suzanne hier soir de ton projet de mettre Marie dans le secret de la SURPRISE de demain. Elle croit que cela n’est pas nécessaire et se fait fort de mener, à elle seule, la chose à bien si tu veux avoir confiance en elle. De mon côté je crois que tu peux te fier à elle car je sais par expérience qu’elle excelle dans ce genre de FAUNE. Au reste tu as le temps d’en décider d’ici à demain. Moi je n’ai plus que la place d’un baiser.
BnF, Mss, NAF 16391, f. 157
Transcription de Jean-Christophe Héricher assisté de Florence Naugrette