Guernesey, 9 août, [18]70, mardi matin, 6 h.
Pardonne-moi, mon cher bien¬ aimé, d’avoir eu hier les yeux plus grands que le ventre et le désir de faire plaisir à tes enfants plus grand que mes forces mais il m’est impossible d’accumuler coup sur coup la fatigue de deux traversées de mer, quelles quea courtes qu’elles soient [1]. Le brouhaha du plaisir devient même pour moi une fatigue énorme et dont j’ai besoin de me reposer et de ne prendre qu’à petite dose. C’est humiliant à dire pour moi et il faut que j’y sois forcée, comme en ce moment, pour en faire l’aveu à toi et surtout à toute cette belle jeunesse qui t’entoure. Je te supplie de m’excuser auprès d’elle et de faire en sorte qu’elle ne m’en veuille pas trop de la lâcheté de ma dernière heure. Je suis déjà trop punie, hélas ! par où je pêche pour qu’on ne soit pas indulgent envers mes pauvresb vieux soixante-quatre ans ! Je vais envoyer Suzanne tout à l’heure, dès qu’il fera jour dans ta maison, te porter cette triste complainte en même temps que le gribouillis d’hier que tu as laissé piteusement se morfondre à la place où je l’avais mis. Pour t’en punir, je t’inflige l’embêtement de me répondre un mot pas trop dur et de me donner des nouvelles de ta nuit. Je t’aime.
BnF, Mss, NAF 16391, f. 216
Transcription de Anne-Estelle Baco assistée de Florence Naugrette
a) « quelques ».
b) « pauvre ».