Guernesey, 21 juillet [18]70, jeudi matin, 6 h.
Saint Victor me tire doucement par la manche pour me dire que c’est aujourd’hui ta fête dans le calendrier. Moi je lui réponds de ma plus douce voix que c’est toujours ta fête dans mon cœur, ce qui n’a pas l’air de l’étonnera et encore moins de le fâcher. J’avais envie, à cette occasion, de descendre dans mon jardin pour y cueillir un bouquet, mais je me suis ravisée pensant que c’était inutile puisque Dieu y a déjà pourvu depuis deux ans en te donnant les deux plus ravissantes fleurs humaines qu’on puisse trouver sur la terre et rêver au ciel [1]. Donc, mon cher grand, ineffable et doux adoré, mon compliment se borne à ma restitus des grands jours. Puisses-tu ne pas la trouver trop longue et me la pardonner. J’espère que les nouvelles d’aujourd’hui ne contrasteront pas trop avec ta petite fête familiale. C’est bien le moins que messieurs les empereurs nous laissent tranquilles au moins une fois dans l’année [2]. Au reste, je doute que les bateaux puissent venir aujourd’hui car le brouillard est encore aussi épais ce matin qu’hier. À ce propos, comment s’en est trouvé ta jambe ? Je craignais qu’elle te fît mal malgré ton air fringant et dégagé. Je saurai cela tantôt quand je te verrai. Quant à moi, à ma douleur de dent près, je suis assez contente de moi. Je désire que tu aies la même opinion de ta très humble, très tendre, très fidèle et très adorante Juju.
BnF, Mss, NAF 16391, f. 198
Transcription de Anne-Estelle Baco assistée de Florence Naugrette
a) « l’étonné ».