Guernesey, 15 juillet, [18]70, vendredi après-midi, 3 h. ½
Cher bien-aimé, je te vois à peine maintenant que tes enfants sont avec toi [1] ; je ne m’en plains pas parce que je te sens heureux ; autrement je pousserais des cris de mère Lubine [2] qui te forceraienta à regarder un peu plus souvent de mon côté. Je t’écris sur du papier de Second Hand parce que le mien est épuisé d’hier. J’ai pigé celui-ci sur tes billets plus ou moins doux mais cela ne peut pas me mener bien loin. Tu feras donc sagement de m’en apporter le plus tôt possible ainsi que de l’argent dont j’ai le plus grand besoin pour le marché demain, Suzanne m’ayant déjà avancé 48 [illis], dont la plus grande partie a servi à payer ton gaz et le mien et la note de mon jardinier. Tout cela n’est pas fait pour te monter l’imagination, mais « je n’y peux pas que faire » [3]. Quant au voyage à petites journées autour de l’île, je le trouve charmant, en projet, mais je doute que l’exécution en soit facile ni même faisable. Le raisonnable serait de faire une longue promenade en wagonnette tous les jours et revenir dîner tranquillement à la maison à sept heures. Maintenant, prenez ma tête et tâchez de trouver une solution plus amusante, je ne m’y oppose pas. J’ai reçu une lettre de mon neveu [4] en contenant une de sa femme pour moi. Elles sont bien gentilles toutes les deux et bien intéressantes, du moins celle de Louis qui me parle de l’article de ton fils Victor, « Avant et Après Sadowa » [5], avec un enthousiasme que je me fais une joie de partager tout à l’heure en le lisant. Mon cœur, comme mon admiration, va de toi à tes deux fils sans jamais s’arrêter.
BnF, Mss, NAF 16391, f. 192
Transcription de Anne-Estelle Baco assistée de Florence Naugrette
a) « forcerait ».