10 juillet [1843], lundi matin 7 h. ¼
Je suis bien triste, mon Toto, je lis et je relis ta lettre pour me donner de la confiance et du courage mais je suis triste, triste au-delà de toute expression. Je prévois que le bonheur d’être réuni à ta fille va te retenir bien des jours encore loin de moi et il m’est impossible de n’être pas au désespoir en pensant que je serai tout ce temps-là sans te voir. Il me semble, au découragement que j’éprouve, que ce voyage n’arrivera jamais. J’ai le cœur plein d’amertume contre tout le monde et contre tout ; je me déteste et je voudrais être au diable, qui ne saurait être pire que la rue Sainte Anastase quand tu n’y es pas.
J’ai vu hier Mme Krafft qui a dîné avec moi ; elle s’en est allée à 9 h ½. Je me suis couchée à 10 h. ¼ et j’ai lu jusqu’à près de minuit. Enfin je me suis endormie et j’ai eu les plus effroyables rêves qu’on puisse faire. Il y a plus d’une heure que je suis levée et je trouve la journée déjà monstrueusement longue et ennuyeuse. Dieu sait ce que cela deviendra pour tromper mon impatience. Je vais envoyer chercher chez [Lambin ?] les provisions de voyage indispensables. Si j’avais eu le petit [rebleu ?], j’aurais pu y emballer bien des vociférations, bien des savons, bien des grogneries, bien des brosses, bien des peignes et bien des mouzonneries de toutes sortes et de tous calibres. Tu ne l’as pas voulu. Tâche au moins de vouloir revenir tout de suite si tu ne veux pas que je devienne Ponsardée [1] (selon la belle image du Corsaire).
En attendant, je t’aime trop et je te désire de même. Ce n’est pas ce qui me fera trouver la journée moins longue. Je baise tes chères petites pattes pour les faire accourir plus vite.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16352, f. 107-108
Transcription de Olivia Paploray assistée de Florence Naugrette