Guernesey, 18 mai [18]70, mercredi matin, 6 h.
Bonjour, mon ineffablement bon et grand bien-aimé, bonjour. Comment la nuit ? Aussi bonne que la mienne je l’espère. Quant à celle de mon pauvre COQ, elle a dû être assez maussade grâce à la stupide complaisance de Suzanne pour les mièvreries ridicules de ce tourlourou [1] anglais qui prétend que le chant de ce brave coq français lui donne le cauchemara ! Au reste il n’aura pas beaucoup gagné à cette séquestration inepte car depuis plus d’une heure mon poulailler est en rumeur sous prétexte de te pondre ton déjeunerb. Dès que j’aurai fini mon gribouillis j’irai moi-même délivrer mon pauvre Rochefort [2] emplumé, tant pis pour mon susceptible voisin et sa peu gracieuse COMPAGNE. Le malheur est que les pauvres femmes qui font métier de louer en garni à ces officiers, si peu soldats, en souffrent dans leurs intérêts momentanés. Mais qu’y faire ? J’ai besoin de mes poules pour tes œufs et mes poules ont besoin de leur coq… pour les besoins de la tendresse.
BnF, Mss, NAF 16391, f. 137
Transcription de Jean-Christophe Héricher assisté de Florence Naugrette
a) « cauchemard ».
b) « déjeûner ».