Guernesey, 16 mai [18]70, lundi matin, 6 h.
Bonjour, mon doux adoré, bonjour, comment la nuit ? Bonne, n’est-ce pas ? Il le faut, je le veux, pour faire vis-à-vis à la mienne tout à fait excellente. Seulement je crains que notre promenade projetée ne tombe dans l’eau d’ici à tantôt car le ciel crève d’envie de pleuvoir. Cependant j’ai fait force de bras et de jambes pour être prête dans le cas où le temps se raviserait de midi à deux heures. Dites donc, môssieur, savez-vous que vous me tenez la dragée diantrement haute ? Vous m’aviez promis de me lire quelque chose des nouveaux Châtiments [1] depuis bien longtemps déjà et je ne vois ni n’entends rien de toutes vos belles promesses. Si vous croyez que c’est juste vous vous trompez du tout au tout. Maintenant je ne vous demanderai plus rien jamais pour vous épargner des promesses que vous êtes décidé à ne pas tenir ce sera autant de gagné pour vous sans que j’y perde davantage. « Ma tante pas contente » [2]. Quelles seront les nouvelles intéressantes aujourd’hui ? « That is the question ». En attendant qu’on les connaisse je vous aime comme une bête que je suis c’est assez lâche mais je ne peux pas m’en empêcher. Abusez-en si vous voulez, votre Marie… Torne [3] me vengera ça sera bien fait.
BnF, Mss, NAF 16391, f. 135
Transcription de Jean-Christophe Héricher assisté de Florence Naugrette