Guernesey, 23 nov[embre] [18]72, samedi matin, 8 h. ½
Cher adoré, je devrais te défendre d’aller sur ton toit quand il pleut et qu’il vente comme ce matin au lieu de t’y encourager par le bonheur que j’ai à te voir, ne fût-cea qu’une minute. Je me reproche mon égoïsme sans pouvoir y renoncer et je continue d’en être bien heureuse et bien reconnaissante et de t’adorer comme tu mérites de l’être. Tu as bien fait d’être bon pour cette pauvre misérable communarde [1] ; personne plus que toi et mieux que toi n’a droit de venir en aide et de couvrir de ta pitié les malheureux, quels qu’ilsb soient, et Dieu sait jusqu’où tu poussesc le droit à la mansuétude. Cette fois-ci encore ta sublime charité va jusqu’à l’imprudence ; heureusement que la vie de tes petits-enfants ni la tienne non plus, je l’espère, ne courent aucun danger. Cependant, tu ferais peut-être sagement d’être un peu mois prodigue, non de tes libéralités d’argent, car elles ne peuvent avoir d’autre inconvénient que de vider ta bourse, ce dont tu te moques et moi aussi ; mais de ta confiance et de ta protection de parti pris. Il est bien d’être bon et généreux toujours. Mais il est absurde et dangereux d’être dupe. J’espère que ce pauvre Berru ne paiera pas la folle enchère de ta recommandation trop hasardée [2]. Maintenant que j’ai eu l’outrecuidance, le TOUPET, de japper après ton bienfait, je reviens l’oreille basse me coucher à tes pieds en te demandant pardon de mon audace. Sois béni mon généreux homme, je t’adore.
BnF, Mss, NAF 16393, f. 323
Transcription de Bulle Prévost assistée de Florence Naugrette
a) « fusse ».
b) « quelqu’ils ».
c) « pousse ».