29 avril [1842], vendredi matin, 10 h. ¼
Bonjour mon Toto bien aimé, bonjour mon Toto chéri, je t’aime. Comment vas-tu ? Comment va mon autre petit Toto aussi que j’aime [1] ? Bien, n’est-ce pas mes pauvres amours ? Je l’espère, je le désire de toute mon âme. Moi je suis toujours la même patraque, cependant je souffre moins ce matin que cette nuit et je pense qu’avec un peu de régime et des cataplasmes cela disparaîtra tout de suite [2]. Je crois aussi que si nous déjeunions plus souvent ensemble, les affaires n’en seraient que mieux et que je n’aurais pas tous ces malaises hideux qui se succèdent presque sans interruption depuis que vous vous EMPORTEZ si bien AU VIS-À-VIS de moi. Baisez-moi, mon Toto chéri, et pensez à ce que je vous dis parce que c’est très important. Mon Dieu, mon Dieu, quel beau temps, je ne sais pas comment sera le mois de mai mais je sais que je voudrais passer ces deux derniers jours d’avril avec vous sans vous quitter une seconde. Je donnerais deux ans de ma vie pour ces deux derniers jours déjà entamés. Mon Dieu, quel bonheur si tu venais me chercher tout à l’heure pour sortir avec toi toute la journée. Hélas ! c’est peu probable. Je t’aime, mon Toto chéri, je t’adore, mon beau petit homme, mais cela ne suffit pas pour être heureuse. Il faut que de ton côté tu me donnes un peu de toi en chair et en os et en âme, sans cela il n’y a pas de bonheur possible.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16348, f. 329-330
Transcription de Anne-Estelle Baco assistée de Florence Naugrette
29 avril [1842], vendredi après-midi, 4 h. ¼
Encore une journée passée sans te voir, mon Toto chéri, encore une journée de bonheur de moins dans ma vie. Qui est-ce qui me la rendra, personne. Elle est perdue à tout jamais comme toutes celles que j’ai passéesa à t’attendre inutilement. Tu travailles, mon pauvre bien aimé, je le sais bien, mais cela ne suffit pas pour me faire prendre patience, au contraire, car je n’ai pas l’espoir que cela finisse jamais [3]. Je t’ennuie, mon pauvre ange, avec toutes mes plaintives rabacheries. Tu aimerais mieux moins d’amour et plus d’insouciance. Mais qu’y faire ? Tu me tuerais que je ne pourrais pas t’aimer moins, ce n’est pas ma faute. Baise-moi et tâche de venir le plus tôt possible me consoler. Je voudrais savoir comment va notre Toto [4] et vous aussi, mon petit homme chéri. Moi je vais cahin-caha [5]. J’ai par précaution fait acheter de la farine de lin pour ce soir. Je n’ose pas prendre de bain ni de lavement dans la crainte d’un rhumatisme. D’ailleurs le régime et les cataplasmes doivent suffireb pour enrayer ce commencement de maladie. Mais il me semble que le grand air et le bonheur me guériraientc comme avec la main. Donned-moi zen Fouyou. Jour Toto, jour mon cher petit O, je suis une vieille bête et tu fais bien de ne pas m’écouter et JE T’EN AIME FIDELE SERVITEUR. Je dépose ici un million de baiserse que je vous prie d’accepter. Si vous êtes bien gentil, comme j’aime à le supposer, vous viendrez me les rendre dès que vous aurez lu ce gribouillis. En attendant, je vous rebaise encore.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16348, f. 331-332
Transcription de Anne-Estelle Baco assistée de Florence Naugrette
a) « passé ».
b) « sufire ».
c) « guérirait ».
d) « donnes ».
e) Tracé d’une bulle qui indique l’endroit où elle « dépose ici un million de baisers ».
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