26 avril [1842], mardi matin, 9 h. ¾
Bonjour mon Toto chéri. Je vous baise bien tendrement. Je vous aime mon Toto. Je n’ajoute rien à ce mot là parce qu’il contient tout le bonheur et la tristesse et plus encore la tristesse que la joie et le bonheur. Je devrais finir ici ma lettre n’ayant rien de plus intéressant à y ajouter, car mes nuits et mes jours ne sont pas assez fertiles en événements pour fournir une syllabe à ma rédaction ; aussi quand j’ai écrit sur une belle feuille de papier blanc ces quatre mots : - mon Toto je t’aime, je suis au bout de mon rouleau et je ne sais plus qu’ajouter. Cela ne fait pas l’éloge de mon esprit, mon cher petit Toto, mais cela prouve que je t’aime à l’exclusion de toute préoccupation et de toute autre chose au monde. C’est bien, bien vrai, mon amour. Je t’aime, je t’aime, je t’aime, je t’aime, je t’aime. Je t’aime comme une bête, voilà tout. C’est pas ma faute, c’est la faute de je ne sais pas quoi. Mais vraiment, mon Toto, tu devrais te contenter de cette petite phrase tous les matins et tous les soirs : je t’aime et ne pas en demander davantage. Je suis trop à court d’événementsa pour en remplir quatre pages, de sorte que je ne sais plus comment faire et que je suis très embarrassée du reste de mon papier.
Je pense que notre petit malade va toujours de mieux en mieux [1]. J’espère que lorsque tu seras tout à fait tranquille tu me donneras quelques bonnes matinées d’amour. Je ne les aurai pas volées, entre nous soit dit. Sur ce, baise-moi et ne va pas à la réception de ce hideux chancelier [2]. Je ne suis pas très disposée à la résignation de ce côté-là, je vous en préviens mon amour chéri.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16348, f. 319-320
Transcription de Anne-Estelle Baco assistée de Florence Naugrette
a) « événement ».
26 avril [1842], mardi après-midi, 5 h.
Est-ce que tu es à l’Académie, mon cher petit bien aimé ? En vérité pour quoi faire ? Si tu veux perdre ton temps il vaudrait bien mieux que ce fût avec moi qu’avec tous ces affreux vieillards bavant dans leur perruque [3]. J’ai toujours bien mal à la tête mon Toto [4]. Depuis qu’il fait chaud je n’ai pas passé un jour sans avoir mal à la tête. Je ne me manière pas mon Toto, je t’assure que j’ai vraiment de grands maux de tête. Y peux-tu quelque chose ? Je n’en sais rien, mais je sais que si j’étais à ta place j’essayerais de tous les moyens avoués par la chimie et par l’amour pour me guérir maintenant. Voilà mon avis, tu n’es pas forcé de le suivre. Ce que je t’en dis c’est pour parler, voilà tout.
Le temps est noir et lourd. Je voudrais qu’il fît un gros orage pour me rafraîchir un peu la tête, il me semble que cela me soulagerait. Cependant je ne veux pas qu’il vous pleuve sur la bosse. Dépêchez-vous de revenir à la maison et laissez pleuvoir. Quand je dis la maison c’est MA maison que je veux dire. Hélas ! vous n’y venez guère souvent dans cette pauvre maison, je ne sais pas ce qu’elle vous a fait et moi aussi, mais il y a bien longtemps que vous nous avez planté là sans plus vous en soucier que de votre première brassière. Tiens, voici qu’il pleut, quel bonheur si cela peut me guérir. À propos de guérir, comment va notre cher petit malade [5] ? Je pense bien à lui, ce pauvre petit bien aimé et je serai bien heureuse le jour où il ne souffrira plus du tout. Mon Toto bien aimé, je voudrais te voir. Je voudrais te baiser sur toutes les coutures, est-ce que tu ne vas pas enfin bientôt venir ? Je t’attends, je te désire, je t’aime et je t’adore, toutes ces raisons-là devraient cependant t’attirer près de moi loin de t’en repousser ? Il me semble du moins.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16348, f. 321-322
Transcription de Anne-Estelle Baco assistée de Florence Naugrette