17 avril [1842], dimanche matin, 9 h.
Bonjour mon petit Toto chéri, comment vas-tu, mon cher petit homme, et comment va notre petit malade [1] ? Je suis toute entière à votre pensée, mes deux pauvres amours. Rien ne peut m’en distraire, pas même le sommeil, car je rêve toujours de vous. Le temps a l’air plus doux aujourd’hui qu’hier. J’espère que cela agira en bien sur la santé du cher petit garçon et que tu seras moins triste et moins inquiet aujourd’hui, mon pauvre bien aimé. Pour t’obéir, je vais me tenir prête à sortir dans la journée, mon Toto, mais je n’y compte pas car tu as trop à faire pour pouvoir me faire sortir dans ce moment-ci. Je sens bien cela, mon amour, et je te sais gré de l’intention comme du fait même.
Jour Toto, jour mon petit Toto. Je t’aime. Il y a bien longtemps que je n’ai su des nouvelles de mon pauvre père [2], je vais lui écrire ce matin pour lui en demander. Je viens encore d’envoyer Suzanne au marché pour savoir comment va la petite Lanvin [3]. Que ne puis-je aller moi-même savoir ce qui m’intéresse [4] ? Je ne quitterais pas de chez toi nuit et jour et je te suivrais partout. Tu dois une fameuse chandelle à l’impossibilité d’exécuter ce charmant système de surveillance, car si je le pouvais je n’y manquerais pas. Voici Suzanne : la petite Lanvin va un peu mieux. Pauvre enfant, le bon Dieu a eu pitié d’elle et de sa mère. Jour Toto, jour mon petit O. J’espère que tu m’apporteras une bonne nouvelle tantôt. Je le désire de toute mon âme. En attendant, je baise ce cher petit enfant sur son bobo et mon grand Toto partout. Je [te] prie de venir bien vite me rassurer et me baiser.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16348, f. 285-286
Transcription de Anne-Estelle Baco assistée de Florence Naugrette
17 avril [1842], dimanche soir, 6 h. ½
Merci mon bon petit homme de m’avoir donné un morceau du baptême [5], merci de tout mon cœur, c’était la seule consolation qui pouvait me faire oublier ce que la cérémonie avait de choquant pour moi [6]. Mais ce que je préfère à tous les équipages, c’est une bonne promenade solitaire à travers champs avec toi. Je donnerais toutes les dragées, toutes les robes de soie et tous les équipages de l’univers pour un jour d’amour et de bonheur dans quelque petit village du midi ou des bords du Rhin ou même des environs de Paris [7]. Voilà mon goût, s’il vous déplaît j’en suis fâchée, mon amour, mais je ne saurais le changer. Mon Dieu, que je t’aime et que tout ce que je te dis est pauvre et froid à côté de ce que je sens. Toutes les magnificences de la langue, toute la poésie du monde seraient insuffisantes à dépeindre ce que je sens pour toi d’amour, d’admiration et d’adoration. Mon Toto, mon Toto, tu es ma joie et ma vie. Je voudrais mourir pour toi. Viens bien vite m’apporter les bonbons que je préfère à ceux de la rue des Lombards [8], les bons bons baisers des lèvres et de l’âme je t’en prie. Je t’en prie.
BnF, Mss, NAF 16348, f. 287-288
Transcription de Anne-Estelle Baco assistée de Florence Naugrette