30 mars [1842], mercredi midi
Bonjour mon Toto bien aimé, bonjour mon amour chéri, comment vas-tu ce matin mon pauvre petit homme ? J’espère que tu n’auras pas eu l’imprudence de travailler toute la nuit avec le petit échauffement que tu avais ? Je ne te gronde pas de n’être pas venu ce matin, mon Toto, si tu as pris du retard, je te fais seulement souvenir que je t’attends de toute mon âme. Si tu peux me faire sortir aujourd’hui cela me fera du bien et du bonheur. Si tu ne peux pas, nous n’en serons pas plus mauvais amis. J’espère que je suis raisonnable, pauvre adoré. C’est que je sais combien tu travailles et combien tu t’appartiens peu. Baise moi, mon Toto chéri, je t’aime à genoux comme mon cher petit Dieu du paradis. J’ai auprès de moi toute ma ménagerie, ma fille [1], Jacquot et Fouyou sur mon lit faisant mille gambades et mille contorsions. Cependant je vais m’occuper sans retard et sérieusement à faire rentrer Claire en pension parce que le temps se passe sans grand profit si ce n’est le plaisir que j’ai à la grogner toute la journée [2].
Il faut que je fasse carder ses matelas et que je lui aie une robe ou deux de classe en toile à très bon marché. Enfin, il faut la reboucler le plus vite possible. En attendant, elle s’occupe tant bien que mal dans la maison et à son dessin.
Je vous attends toujours, moi et je vous aime aussi comme toujours de toutes mes forces, de tout mon cœur et de toute mon âme. Venez bien vite mon Toto chéri.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16348, f. 215-216
Transcription de Anne-Estelle Baco assistée de Florence Naugrette
30 mars [1842], mercredi soir, minuit
Ne t’effarouche pas de l’heure, mon bien-aimé, d’abord la pendule avance d’une heure [3], ensuite la mère Lanvin est venue ce soir au moment où j’allais t’écrire avant mon dîner pour me rapporter les 3 reconnaissances et 7 F 12s restant des 100 que j’avais envoyésa comme tu sais. J’ai fait dîner la mère Lanvin et elle vient de s’en aller tout à l’heure. Depuis j’ai compté ma dépense et fait mes quinze tours et voilà que je t’écris. Mon cher bien aimé, j’ai le cœur rempli de toi et l’âme pleine d’amour et d’adoration. Quelle charmante promenade, mon Dieu, et que j’aurais donné des jours de ma vie pour chacune des secondes qui l’aurait prolongée. J’espère, mon bon ange, qu’elle ne t’aura pas fait de mal et que tu ne souffres pas davantage que tantôt [4] ? J’espère, mon Dieu, que tu ne souffres plus du tout, mon cher bien aimé, et qu’il n’est plus question de ce petit échauffement menaçant. Qu’est-ce que je deviendrais si tu étais jamais malade loin de moi ? D’y penser seulement, cela m’est insupportable. Ne sois pas malade mon Toto. Soigne-toi bien, ne travaille pas cette nuit, viens te reposer dans mes bras, mon adoré, je t’en prie, je t’en prie, je t’en prie. En attendant, viens te réchauffer auprès de mon feu et sous mes baisers. Tu me combleras de joie et de bonheur. Je t’aime, mon Toto. Je t’adore, mon cher petit Toto.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16348, f. 217-218
Transcription de Anne-Estelle Baco assistée de Florence Naugrette
a) « envoyer ».