Bordeaux, 26 février [18]71, dimanche, 7 h. du matin
Où en es-tu de ta nuit mon grand bien-aimé ? La cherches-tu encore comme moi qui ne l’ai pas trouvée, et qui prend le parti d’y renoncer ? J’espère que tu as été plus habile que moi, que tu la tiens et que tu ne la lâcheras que le plus tard possible. Petite Jeanne et son frère, qui ont bien dormi toute la nuit, sont déjà réveillés et en train de faire leur premier déjeuner. Je n’ai pas osé faire demander des nouvelles de ton fils Charles, dans la crainte d’avoir l’air de lui imposer ma sollicitude, dont il se soucie peu, mais je crois que tu feras bien de lui montrer la tienne, dont il doit avoir le plus grand besoin, dès que tu viendras tantôt. Je suis sûre que ton baiser indulgent et paternellement généreux lui fera plus de bien à son rhume que tous les remèdes du Docteur Dubreuil. En attendant, je me prépare, non sans appréhension, à dîner ce soir avec ta nouvelle conquête, déjà l’ancienne amie de Mie. Tout nouveau visage me trouble, à plus forte raison quand ce visage est féminin. C’est si fort que même intéressant à ce nouveau sujet, je me sens devenir plus bête que nature. Je me hâte de me réfugier dans ce mot qui est tout mon esprit : Je t’aime.
BnF, Mss, NAF 16392, f. 10
Transcription de Jean-Christophe Héricher assisté de Florence Naugrette