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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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14 novembre [1840], samedi soir, 5 h.

Tu es parti presque fâché, mon bien-aimé, et moi tout à fait triste d’être la cause involontaire de ton mécontentement. Claire pense, et je suis de son avis, que ce petit accident arrivé à la reliure du livre de M. Lebrun vient du fermoir en cuivre de mon Imitation de Jésus-Christ qui se sera trouvé une fois par hasard sur la couverture du susdit livre. Quoi qu’il en soit je reconnais que tu avais raison d’être fâché et je voudrais pour bien des choses que ce ne soit pas chez moi et sous ma responsabilité que ce dégât ait eu lieu. Veux-tu me pardonner, mon amour ? Veux-tu n’avoir plus l’air mécontent, mon adoré ? Veux-tu m’aimer encore ? Te voilà, mon bon petit bien-aimé, tu n’as fait qu’entrer et sortir, mais dans cettea seule minute de ta présence tu m’as enlevé toute une grande soirée d’ennui et de chagrin car j’avais vraiment le cœur gros de la pensée que tu étais mécontent de moi.
Je vous défends, mon Toto, de blasphémer comme un païenb à l’endroit de ce que vous avez de plus pur, de plus suave et de plus enivrant, de votre haleine enfin. Voilà déjà plusieurs fois que vous exprimez à ce sujet des doutes absurdes et qui m’humilient, je ne veux pas en entendre ou je me fâche tout rouge. Cher bien-aimé, ton souffle c’est le parfum de ton âme qui passe par tes lèvres. Juge un peu comme tu es bête quand tu dis que tu ne sens pas bon. Je vous dis que vous êtes une bête et la première fois que ça vous arrivera je vous donnerai une voléec de baisers qui ne sera pas mince. En attendant vous êtes très humblement prié de venir ce soir manger notre dindon que je n’ai acheté que pour vous et dont nous mangerons qu’après vous ou avec vous. Hélas j’ai bien peur que cette précaution ne me porte malheur et qu’au lieu de venir manger mon oiseau vous n’alliez à Saint-Prix [1] ce soir et n’y passiez toute la journée de demain. C’est une crainte qui me fait l’effet de devoir être une certitude si j’en juge d’après l’effet qu’elle me fait rien qu’en y pensant.
Je t’aime, mon Toto adoré, je t’aime plus que je ne puis dire, plus que tu ne peux le penser et le désirer. Je t’aime de toute mon âme, de toutes mes forces, de tout mon cœur et bien plus que ça encore. Je baise tes chers petits pieds et j’adore ta belle petite bouche de roses et de perles. Je la baise sans interruption.

Juliette

BnF, Mss, NAF, 16343, f. 161-162
Transcription de Chantal Brière

a) « cette » est écrit deux fois par erreur.
b) « payen ».
c) « vollée ».

Notes

[1La famille Hugo s’était installée pour la saison d’été au château de la Terrasse à Saint-Prix. Hugo s’y rendait très régulièrement et revenait par la diligence de nuit. Il semble pourtant qu’à cette date Mme Hugo et ses enfants soient de retour à Paris depuis plusieurs jours.

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