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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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18 novembre [1837], samedi après-midi, 2 h. ¾

Je t’écris avec accompagnement du Rubini [1] du tuyau de poêle qui crie à tue-tête [du haut de la  ?] cheminée la fameuse barcarolle ramonez-ci ramonez-çaa la cheminée du haut en bas [2], le refrain compliqué d’un nuage de suie qui me saupoudre mon papier, mes tentures et ma persienne d’une couche solitaire tendre [3] des plus agréables et pour finir cette harmonie, la perspective de recommencer demain le même agrément. C’est là le cas de fumer par tous les bouts. Encore si tu avais la complaisance de me soustraire à cet effroyable bouleversement. Mais non, tu t’en vas et me laisses là comme un pauvre chien galeux. Si je t’aimais moins ce serait bien le moment de ne plus t’aimer du tout. Mais je suis faite de telle façon que plus tu me fais des sottises et plus je t’aime. Comment me trouvez-vous ? Bien et vous ?
Il ne serait pas impossible que le Manière ne vînt se joindre au charme du ramonage. Cela ne serait que juste, après l’avoir attendu plus d’un mois les pieds sur les chenets. Jour mon petit o. Si vous croyez que je m’amuse vous vous trompez du tout au tout. Je ne fais que vous aimer.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16332, f. 65-66
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein

a) « ramoné ci ramoné ça ».
b) « c’est ».


18 novembre [1837], samedi soir, 6 h. ¼

Vous êtes un bien charmant jeune homme, voime, voime. Et moi qui avais assez compté sur vous pour passer ma robe noire dans la chambre froide et obscure de Suzette. En vérité je suis bien bête, n’est-ce pas ? J’ai eu les fumistes [4] jusqu’à 5 h. ½. Il a fallu depuis ce temps essuyer et épousseter toute la chambre qui ressemblait par la couleur à un tuyau de poêle non ramoné depuis dix ans. De tout ce gâchis il en résulte que ma cheminée fume et fumera tant que cheminée elle sera. C’est consolant et même encourageant pour la nouvelle séance qui se prépare pour lundi prochain. Quellea heureuse femme je suis ! Pour peu que cela continue, j’aurai l’air d’un jambon de Mayence ou d’une habitante du Groenland, ce qui sera pas [5] régalant même pour vous (Allah Kérim [6]) Dieu est grand, c’est comme ça qu’on dit à présent pour exprimer une vexation du premier ordre. C’est oriental et à la portéeb de tout le monde.
Dites donc mon petit homme, quelle nouvelle espèce d’empêchement vous aura retenu ce soir ? Quelle femme ou quel homme vous a happéc aujourd’hui ? Cela durera-t-il longtemps ? Il faudrait me le dire, car en vous attendant j’irai faire un voyage en Égypte ou en Grèce dans la diligence par complaisance et en vous accordant toute mon indulgence. Faut-il que je vous aime pour supporter d’un œil presque sec toutes les calamités qui m’arrivent, hein ?

Juliette

BnF, Mss, NAF 16332, f. 67-68
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein

a) « qu’elle ».
b) « porté ».
c) « appé ».

Notes

[1Rubini (1794-1854) était un célèbre ténor.

[2Refrain dont les vers exacts sont « Ramonez-ci, ramonez là, / La la la la / La cheminée du haut en bas », tirés d’une chanson du XVIIe siècle maintes fois déclinée satiriquement et détournée pour ses connotations grivoises. Ce refrain était l’un des célèbres cris des petits ramoneurs.

[3Couleur brune, qui prit son nom d’après Le Solitaire par le vicomte d’Arlincourt, comme l’explique un compte rendu d’une adaptation du roman à l’Opéra-Comique : « Jamais succès ne reçut de la mode une consécration plus brillante et plus générale. Pendant plus d’un an, tout fut au Solitaire. Un magasin de nouveautés prit ce titre glorieux pour enseigne, et arbora en guise de bannière un beau tableau représentant une des principales scènes fournies par le sujet. La robe brune du mystérieux ermite déteignit plus ou moins sur tous les produits de l’industrie parisienne. La couleur Solitaire envahit tout, les robes, les chapeaux, les brodequins, les pelisses des femmes, les redingotes et les manteaux des hommes, les parapluies, les ombrelles, les voitures mêmes. » (Revue et gazette musicale de Paris, 16 décembre 1855, p. 391).

[4Ouvriers chargés de l’entretien de la cheminée.

[5Omission volontaire de « ne », pour imiter la langue parlée.

[6« Dieu est grand » en turc.

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