Université de Rouen
Cérédi - Centre d'étude et de recherche Editer-Interpréter
IRIHS - Institut de Rechercher Interdisciplinaire Homme Société
Université Paris-Sorbonne
CELLF
Obvil

Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

Accueil > Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo > 1836 > Septembre > 8

8 septembre [1836], jeudi matin, 11 h.

Aussitôt pris aussitôt pendu, mon cher petit homme. Hé bien ! vous avez bien fait, puisqu’il fallait que vous la portassiez un jour ou l’autre, cette célèbre robe [1]. Mais à présent que vous avez fait votre commission, mon cher adoré, vous devriez revenir tout de suite. Car j’ai bien besoin de vous voir et il y a trop longtemps que j’ai ce besoin non satisfait.
Ma fille est retournée de ce matin à la pension. Je suis par conséquent tout à fait seule. Je n’en suis pas plus gaie je t’assure.
Il fait un temps affreux, il tonne à faire trembler la meilleure conscience. Cependant si tu étais là, je le dis en demandant pardon à Dieu, mais je n’aurais pas peur du tout. Tu as sans doute oublié la fameuse averse de Jouy [2]. Mais moi j’en ai le souvenir présent comme si c’était hier. Jamais je ne t’ai plus aimé que dans ce moment-là, et depuis je n’ai fait que t’aimer davantage. Mon cher petit homme chéri pense à moi, reviens vite, je t’aime plus que je ne puis dire, vois-tu, et j’ai bien besoin de te voir pour dissiper cette tristesse dans laquelle tu m’as laisséea.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16327, f. 298-299
Transcription de Nicole Savy

a) « laissé ».


8 septembre [1836], jeudi soir, 6 h. ¼

Il paraît, mon cher adoré, que je ne dois plus espérer te voir que cette nuit, et encore… Je répète toujours la même chose, c’est un peu monotone si par hasard tu me lis. Mais je te réponds que de mon côté, d’être depuis 4 ans bientôt soumise au même régime, ATTENDRE, c’est bien triste. J’ai bien de la peine à ne pas te désirer et à me résigner au rôle d’abandonnée ou à peu près. Car il est certain que tu ne reviens auprès de moi que lorsque tes propres affaires te rappellent à Paris. J’ai le cœur gros, je ne comprends pas que tu ne sentes pas et que tu n’éprouves pas les mêmes tourments et les mêmes angoisses que moi. Décidément c’est une triste chose que d’aimer trop. Aussi je vais me jeter à corps perdu dans le travail, ce sera un moyen de forcer ma pensée à s’occuper d’autre chose que de me tourmenter comme je le fais.
J’ai entendu crier par les vendeurs de papier la formation définitive du ministère. Nous verrons si tu obtiendras ce que tu crois et qu’on te doit bien légitimement. Dans tous les cas la Porte Saint-Martin est toujours là pour moi. Ce sera un pis-aller dont il faudra bien que j’use [3].
Il fait un froid très vif ici. Si tu viens cette nuit comme je l’espère couvre-toi bien. Je t’aime mon Victor mais je suis trop triste.
À ce soir.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16327, f. 300-301
Transcription de Nicole Savy

Notes

[1Il s’agit certainement de la robe de communiante de Léopoldine, préparée par Juliette et évoquée dans plusieurs lettres de la fin du mois d’août. La communion se fait le jour même à Fourqueux.

[2Souvenir du 24 septembre 1835, aux Metz, près de Jouy-en-Josas, un jour d’orage où les amants se retrouvèrent sous « L’arbre où dans les baisers leurs âmes confondues / Avaient tout oublié ! » (Tristesse d’Olympio).

[3Juliette n’a pas joué depuis trois ans, et ne rejouera jamais. Engagée à la Comédie-Française, elle n’y a jamais été distribuée.

SPIP | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0
(c) 2018 - www.juliettedrouet.org - CÉRÉdI (EA 3229) - Université de Rouen
Tous droits réservés.
Logo Union Europeenne