Guernesey, 28 mars 1868, samedi matin, 6 h. ¾
Bonjour, mon tout bien-aimé, bonjour, sois béni, je t’adore. J’ai passé une très bonne nuit que je dédie à l’excellence présumée de la tienne. J’ai hâte d’arriver au rendez-vous de Mme Chenay tant le sort de ce pauvre petit inconnu m’inquiète et me navre [1]. J’espère que tu as épuisé sur lui toutes les cruautés de la fatalité et qu’il va enfin trouver sa place au soleil et au bonheur tout le reste de sa vie. Je suis encore sous l’impression terrible, sinistre et écrasante de la lecture d’hier. Quelle grandeur fantastique et quelle réalité atroce dans ce tableau cauchemara ! En voilà un de paysage ! On sent ses cheveux blanchir rien qu’en le regardant dans ton livre. Ma terreur est une des formes de mon admiration sans compter toutes les autres que je n’ose pas formuler dans la crainte de montrer le bout de l’oreille de mon ignorance en toute chose. Mais je te crie du fond de l’âme que c’est beau ! beau !! archi beau !!! et que je t’aime, tout sublime que tu es.
BnF, Mss, NAF 16389, f. 60
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette
a) « cauchemard ».