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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Jersey, 18 novembre 1852, jeudi matin, 8 h.

Bonjour, mon pauvre bien-aimé, bonjour, mon ineffable adoré, bonjour, je t’aime avec toute mon âme, bonjour.
Est-ce que tu as pu dormir par cette effroyable tempête de la nuit ? Quant à moi, cette infernale bacchanalea m’a tenue éveillée presque toute la nuit aussi suis-je aplatieb et FAIBLE ce matin. Il me faudrait rien moins que la perspective ou plutôt la certitude, ce qui est bien différent, d’un bon déjeuner à Gorey ou d’une promenade à Plémont, pour me remettre à flots. Ne l’AVANT [1] pas je continue d’être la plus détraquée des Juju, telle est ma grandeur. Cela ne m’empêche pas de regretter de n’avoir pas pu assister à votre conversation avec votre collègue Pierre Leroux sur les MATIÈRES qui l’intéressent. J’espère qu’il aura senti toute votre courtoisie dans le choix du sujet et qu’il en aura été touché. Seulement vous auriez pu pousser l’hospitalité plus avant en lui servant les ragoûts qu’il aime à la sauce la plus fine. Taisez-vous vilain sale vous êtes digne de vous comprendre avec cet affreux salop démagogique. Votre religion et votre hygiène sont aussi appétissants et aussi propres l’un que l’autre. Que je vous voie prêcher d’exemple votre système polygamique et vous verrez de quelle trique ma monogamie vous répondra avec la plus touchante et la plus assommanted éloquence. Mangez du CIRCULUS [2], si bon vous semble, mais vous ne pouvez goûter que moi ; c’est dur j’en conviens mais mes principes religieux patriotiques et culinaires ne vous permettent pas d‘autres hors-d’œuvres.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16372, f. 175-176
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

a) « cet infernal bachanal ».
b) « applatie ».
c) « assomante ».


Jersey, 18 novembre 1852, jeudi après-midi, 1 h.

Ma patience a achevé le tour du cadran, mon cher petit homme, maintenant c’est à toi à la remonter en venant le plus tôt possible. D’ici là, je serai une pauvre Juju assez médiocrement courageuse. Les soirées, les nuits et les jours sont longs sans vous, mon amour, et je vous assure qu’il n’est pas aussi facile qu’on croit de les doubler à résignation tendue et sans le moindre secours qu’un pauvre petit moment de bonheur toutesa les 24 heures. Si vous m’aimiez, comme je vous aime, vous sauriez cela et vous mettriez plus d’empressement à venir. Taisez-vous pour ne pas mentir et puis, mon pauvre petit homme, je ne désire pas que tu viennes tout de suite à présent pendant cette averse de pluie et de neige fondue car il n’y a pas de parapluie capable de te protéger contre les tourbillons et les rafalesb de vent qu’il fait dans ce moment. Je désire au contraire que tu restesc bien tranquillement auprès de ton feu jusqu’à la prochaine éclaircie qui ne se fera pas longtemps attendre j’espère. Avant tout, mon doux adoré, j’ai besoin de ta santé et c’est du plus profond de mon cœur que je te prie de ne pas l’exposer jamais même par pitié et par bonté pour moi, surtout pour ces deux choses-là car rien ne serait plus contraire à ma tranquillité et à mon bonheur que la pensée de te savoir souffrant. Je t’attendrai tant qu’il faudra, cher petit homme, en faisant de mon amour toute la patience nécessaire.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16372, f. 177-178
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

a) « tout ».
b) « raffales ».
c) « reste ».

Notes

[1La faute est volontaire.

[2Théorie écologiste développée par Pierre Leroux, prônant l’utilisation des excréments humains comme engrais agricole.

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