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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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15 juillet 1851, mardi matin, 7 h. ½

Bonjour, mon toujours plus aimé petit homme, bonjour. As-tu réussi à prendre un peu de repos cette nuit, mon pauvre bien-aimé ? Si on pouvait te faire des forces avec de l’amour et de l’admiration, je t’en donnerais à soulever le monde entier du bout de ton cher petit doigt et ton corps deviendrait immortel comme ton génie. Malheureusement tous mes sentiments sont stériles comme moi-même et ne peuvent te servir à rien. Cette conviction de mon inutilité m’humilie et me rend la vie bien lourde à porter et il ne faut rien moins que ma croyance dans un monde plus accessible au dévouement des cœurs et des âmes pour me résigner à finir mon temps dans celui-ci.
Pauvre, pauvre bien-aimé, pourvu que tu sortes sain et sauf de ce combat dans lequel on emploiera toutes les armes les plus déloyales pour t’épuiser avant la fin de la lutte. Je suis si malheureuse et si tourmentée qu’il m’est impossible de te parler d’autre chose. Cependant j’aurais à te remercier de ta bonté qui est plus grande, plus douce et plus indulgente que jamais et que je sens à travers toutes les tristes préoccupationsa de ma pensée, toutes les douleurs de mon cœur et tous les découragements de mon âme. Merci, mon Victor, je te bénis, je t’admire et je t’aime.

Juliette

Leeds
BC MS 19c Drouet/1851/51
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen

a) « préocupations ».


15 juillet 1851, mardi matin, 11 h.

J’étais désolée ce matin en voyant le temps plein de menace et de mauvaise humeur. Dans ce moment-ci il me semble qu’il se déride un peu et qu’il te fera bonne mine au moins pour le reste de la journée, ce qui me rend moi-même moins triste et moins maussade. Pauvre petit homme, n’oublie pas les recommandations de Cabarrus, ne te fatigue pas, mange bien et ménage-toi en toute chose. Je voudrais, pour des années de ma vie, que les trois ou quatre jours qui vont suivre soient déjà dans le passé et savoir que tu n’es pas plus souffrant qu’aujourd’hui. Je ne demande plus à assister à la lutte puisque je vois que c’est impossible mais je donnerais tout au monde pour qu’elle fût terminée. Mon Dieu quel fastidieux rabâchage et comme cela peut t’intéresser tout ce que je te dis là. Pardonne-moi, mon pauvre bien-aimé, de n’avoir pas l’esprit de mon cœur, et ne sois pas honteux de l’indigence de mes pensées. Je t’aime trop pour ne rien réserver en propre. Je t’aime avec une imprévoyante prodigalité qui m’empêche de rien garder et de rien acquérir en dehors de mon amour. Cela n’est ni très prudent ni très raisonnable au point de vue même de mon bonheur qui est de te plaire, de vivre et de mourir pour toi.

Juliette

BnF, Mss NAF 16369, f. 117-118
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Florence Naugrette


1851, 15 juillet, mardi après midi, 3 h. ½

Cette fois c’est bien par égoïsme pour moi-même, mon doux bien-aimé, que je te supplie de ne pas venir ce soir pour peu qu’il y ait la moindre humidité ou le plus petit vent dans l’air. Si tu savais à quel point ta santé est nécessaire à la mienne, à mon bonheur et à ma vie tu comprendrais cette acre sollicitude qui me fait préférer la prudence même exagérée, à la joie ineffable de te voir et d’abreuver mon âme à ton souffle. Tu ne peux pas te méprendre non plus sur le sentiment qui me fait refuser l’occasion que tu m’offres quelquefois d’aller te voir chez toi. Certes, si ta noble et digne femme pouvais voir au fond de mon cœur quelle nature d’amour et de dévouement j’ai pour toi, loin de s’en trouver offenséea elle m’en remercierait peut-être et me pardonnerait à coup sûr ce manque de respect apparent pour sa maison et pour sa personne. Mais, comme il n’est donné qu’à Dieu de voir toute choseb dans son vrai jour, je m’abstiens d’aller chercher cette joie et j’attends que tu puissesc me l’apporter volontairement.
Je te remercie pourtant et avec tout ce que j’ai de plus reconnaissant et de plus tendre de me l’offrir et de paraître le désirer. Si tu savais combien j’ai besoin de toutes les marques d’affection que tu me témoignes, même celles dont je ne peux pas profiter, tu comprendrais le bien qu’elles me font chaque fois qu’elles m’arrivent. Merci, mon bien-aimé, merci. Tu es aussi grand par la bonté que par le génie, merci. Je ne sais pas encore si j’irai à Sablonville [1] tantôt. Il me semble que je suis mieux ici pour penser à toi et pour t’aimer. La seule attraction qui me vienne du dehors c’est L’Événement de ce soir. Si j’y cède j’irai pour avoir le prétexte de l’acheter en rentrant. Sinon je resterai chez moi à te désirer, à t’aimer et à te bénir.

Juliette

BnF, Mss NAF 16369, f. 119-120
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Florence Naugrette

a) « loin de s’en trouver offenser ».
b) « toutes choses ».
c) « que tu puisse ».

Notes

[1Les amis de Juliette Drouet et Victor Hugo, Émilie et Victor Sarrazin de Montferrier, possèdent une maison à Sablonville.

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