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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Jersey, 26 août 1852, jeudi matin, 7 h. ½

Bonjour mon ineffable bien aimé, bonjour avec toute ma joie et tout mon bonheur d’hier, bonjour.
Es-tu arrivé assez à temps pour prendre ton bain utilement ? Ton Charlot ne paraissait pas se douter qu’il était attendu pour cette cérémonie car je l’ai vu de loin dans le pré qui arrangeait et amorçait sa ligne tranquillement. Occupation bien pacifique et bien innocente pour ce jeune et beau garçon plus fait pour attraper les jeunes filles que les anguilles quelque faciles qu’elles soient à la séduction de l’amour. Du reste je l’ai vu passer le soir sous ma fenêtre hier au clair de lune. Il courait presque et cette fois je crois qu’il allait pêcher pour tout de bon. Cher petit homme, malgré ta bonne promesse de revenir me voir le soir, je n’y ai pas compté parce que je sentais très bien qu’après cette délicieuse promenade sur la colline tu te devais à tes hôtes pour toute la soirée. Aussi n’ai-je pas été attristée comme je l’aurais été si je n’avais pas eu tant de bonheur dans la journée. Cela ne m’a pas empêchée de t’attendre jusqu’à près de dix heures pour avoir le prétexte de regarder cette belle lune sur cette belle mer que tu devais probablement regarder de ton côté. Je n’avais pas de lumière mais tout était lumineux et rayonnant au ciel, sur la terre et dans mon cœur. J’ai refait mille fois en pensée la route que nous avions parcourue ensemble quelques heures auparavant. J’écoutais ton prodigieux baragouin inventé par toi au fur et à mesure des besoins de la situation dans cette ruine druidique et crapaudine. J’y aurais passé la nuit tant je trouvais de charme à ces souvenirs si doux, à ce spectacle si calme et si grand que j’avais sous les yeux si je n’avais pas craint de te déplaire en prolongeant indéfiniment cette rêverie aux dépends de mon sommeil. Je msuis donc couchée après avoir baisé [illis.] les fleurs cueillies dans la ruine et avoir mis mon âme sous ton aile.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16371, f. 245-246
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette


Jeudi 26 août 1852, jeudi matin, 10 h. ½

Tu sais bien, mon adoré petit homme, que j’ai la raison de penser qu’après avoir eu un tour de faveur inespéré hier je suis résignée aujourd’hui à ne te voir qu’un tout petit moment à la dérobée. Je suis trop juste et surtout trop reconnaissante et trop heureuse de notre chère petite promenade d’hier pour jalouser aujourd’hui le plaisir et le bonheur des autres. Aussi, mon Victor adoré, tu peux être bien tranquille et bien heureux tout le temps que tu seras loin de moi car je te promets d’être aussi patiente et aussi résignée toute seule que j’ai eu de joie hier avec toi. J’ai eu beau regarder de tous mes yeux sur la plage et dans les rochers ce matin, je ne t’y ai pas aperçu. Est-ce que tu n’y étais pas ? Cependant le temps était bien propice au bain de mer, à en juger par la quantité de baigneuses qu’il y avait. Du reste, ne va pas croire que j’exige absolument que tu te baignes précisément en même temps que la plus belle moitié du genre humain ni même que tu assistes régulièrement à son barbotage multipliéa. Je ne pousse pas l’amour…..b de la vertu jusque là et je te laisse parfaitement libre de ne pas regarder toutes ces Vénus plus ou moins impudiques et trop peu de Milo. Qu’en pense le seigneur Vacquerie qui s’y connaît ? En attendant, mon cher petit homme, je ne serais pas fâchée de vous voir un tout petit moment, le temps seulement d’en prendre plein mes yeux et plein mon cœur. Et puis je vous baise de l’âme, et puis je vous adore à toutes voiles.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16371, f. 247-248
Transcription de Bénédicte Duthion assistée Florence Naugrette

a) « barbottage multipliée ».
b) Cinq points de suspension.

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