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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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17 juin 1852

Bruxelles, 17 juin 1852, jeudi matin, 7 h. ½

Bonjour mon bien doux adoré, bonjour avec tout mon cœur, avec toute mon âme, bonjour. J’espère que tu auras passé une bonne nuit et que tu n’auras fait qu’un somme du professeur Rastoul à l’âne mélomane de ta place. Quant à moi, j’ai assez mal dormi selon ma mauvaise habitude, mais je ne m’en plains pas parce que j’ai pensé à toi tout le temps et que j’ai repassé dans ma mémoire tous nos doux souvenirs d’amour et de bonheur jusqu’à aujourd’hui. Le compte en a été d’autant plus long que je m’arrêtais pieusement à chacun d’eux comme on fait aux stations de dévotion aux grands jours fériés. Je t’assure, mon cher petit homme, que ce genre d’insomnie a plus de charme que le sommeil le plus épais. Du moins voilà ce que j’ai éprouvé cette nuit. Quant à toi, mon doux adoré, dont l’esprit et le corps sont si fatigués par un travail surhumain, je ne te conseille pas d’user de mon procédé. Dors, mon pauvre sublime piocheur, dors de ce bon sommeil rafraîchissant et réparateur qui entretient la sérénité de l’âme et les forces du corps. Je voudrais déjà être à tantôt pour être plus près de te voir. Mais en attendant je vais faire force de voile et de rame pour achever ce que j’ai à copier et je tâcherai d’aller pour ta clef de montre après le déjeuner. Je ne sais pas comment je vais me tirer de là car il me paraît démontré par expérience que ces bijoutiers sont aussi maladroits que fripons. Cependant j’essaieraia encore mais c’est avec la plus grande défiance. Je crois que le plus simple aurait été d’envoyer ta montre à Paris par une des nombreuses [illis.] que tu as et de te la faire rapporter avec une [illis.] de Bréguet [1]. Enfin je tâcherai de faire de mon mieux.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16371, f. 141-142
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

a) « essairai ».


Bruxelles, 17 juin 1852, jeudi matin, 11 h.

Quand te verrai-je, mon petit homme ? Tu ne le sais pas toi-même. Je devrais me faire une raison de l’impérieuse nécessité qui te force à recevoir chez toi le tiers et le quart de la ville de Bruxelles sans compter les délégués de toutes les parties du monde [2]. Ce n’est pas que je ne comprenne pas cette nécessité d’être à tous et à [toutes  ?], mais je ne peux m’empêcher d’en souffrir. Tous les efforts que je fais pour me soustraire à l’ennui que me fait ton absence ne serventa qu’à l’augmenter et à le rendre plus pesant. Aussi, j’y renonce. Je me laisse aller à ma tristesse sans essayer de la retenir puisque c’est une des conséquences de l’immense joie que j’ai quand je te vois. L’une ne va pas sans l’autre. J’irai à ta montre aussitôt après le déjeuner. C’est une corvée pour moi car j’ai la presque certitude de ne pas réussir dans ma tentative nouvelle. On ne peut pas se figurer jusqu’où va l’inintelligence du Belge en matière d’adresse dans une industrie quelconque. J’en excepte les marchands d’Houille et leurs papiers gris.
As-tu pensé à ce que je t’ai écrit touchant Suzanne, mon petit homme ? C’est devenu pour moi quelque chose d’intolérable, non pas tant pour l’ineptie et la maladresse de cette fille, que pour son entêtement et sa grossièreté. Il m’est démontré pour moi que n’osant pas demander son compte par un certain sentiment de pudeur que sa conscience lui inspire malgré elle, elle veut se faire renvoyer à force de mauvaise volonté pour son service et d’impertinence dans ses manies. Quant à moi, je préférerais tous les inconvénients de la solitude absolue à l’humiliation d’une créature malhonnête grossière, stupide et méchante. Penses-y, mon Victor, et puis une fois pour toutes dis-moi ce que tu veux faire et je m’y résignerai de mon mieux.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16371, f. 143-144
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

a) « sert ».

Notes

[1Bréguet : dynastie d’horlogers.

[2Pour écrire le récit des événements de décembre 1851 Victor Hugo utilise trois types de sources : ses propres souvenirs, les articles de presse et les témoignages de ses compagnons de lutte qu’il recueille soit par correspondance depuis Paris soit en recevant ses frères d’armes dans son logis bruxellois.

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