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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Bruxelles, 18 avril 1852, dimanche après-midi, 2 h. ½

Je ne veux pas te tourmenter, mon pauvre bien-aimé, quoique je le sois moi-même beaucoup, mais il m’est impossible de ne pas te faire remarquer que, pour la première fois que Suzanne va chez toi hors des heures convenues, elle y a trouvé une femme assise familièrement sur ton canapé et lisant les journaux comme une femme habituée de la maison. Cette femme est de l’âge, de la tournure et de la familiarité de Mlle Juliette Champy [1]. Il est probable que c’est elle en effet. Ton fils habitué à cette visite hebdomadaire ne déjeunant pas avec toi c’est encore tout simple. Ce qui ne l’est pas autant, c’est l’obstination avec laquelle tu me caches les visites de cette fille comme s’il était probable que cette relation commencée si passionnément ait cessé tout-à-coup sans la moindre explication de part et d’autre. Si tu savais comme c’est mal de me tromper, si tu pouvais voir l’état de mon cœur et l’aspect de ma pauvre figure dans ce moment-ci, tu comprendrais ce qu’il y a de cruel dans ces mensonges obstinés. Mon [Dieu  ?] mais est-ce que je m’impose à toi ? Mais est-ce que je ne sais pas que tu es en buttea à l’admiration universelle et en proie à toutes les bonnes fortunes de la vanité de la spéculation et du dévergondage ? Mais le moyen que mon honnête amour traverse toutes ces turpitudes sans en être blessé, c’est de ne me rien cacher. Si j’avais su que cette fille dût venir aujourd’hui chez toi, mon cœur loin de s’en tourmenter se serait tranquillisé car j’aurais compris que ta confiance en moi venait de la parfaite pureté de ta conduite tandis qu’autrement il m’est bien difficile de ne pas suspecter une dénégation si peu loyale et si persévérante. Ce que je souffre te ferait honte et pitié si tu pouvais le voir. Je suis tentée de m’enfuir sans regarder derrière moi tant j’ai effroi de mes souffrances passées. Mon Dieu faites-moi mourir tout de suite de la mort qu’il vous plaira mais épargnez-moi les affreuses tortures de la jalousie. Surtout, ô surtout, mon Dieu, que rien de ce que je souffre ne retombe sur mon pauvre trop aimé, laissez-le être heureux comme il peut et comme il veut. Que mon malheur soit son bonheur, j’y consens mais épargnez-moi la honte d’être trompée.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16370, f. 311-312
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

a)« but ».


Bruxelles, 18 avril 1852, dimanche après-midi, 7 h. ½

J’espérais que tu comprendrais le besoin de m’expliquer la présence chez toi de cette femme surtout après les affirmations réitérées que tu m’avais faites qu’elle n’y venait plus, qu’il ne venait plus aucune femme chez toi depuis l’arrivée de ton fils. Il paraît que tu renonces à me tromper de nouveau et je t’en remercie quoique ce soit un peu tard et bien malgré toi. Du reste il paraît que les marchandes de tabac [2] savent qu’il ne faut laisser monter personne chez toi lorsqu’il y a des femmes car elles refusaient très opiniâtrement ta porte à deux messieurs qui te demandaient, ce n’est que sur l’observation d’une d’elles que, puisque Suzanne allait chez toi, ces deux messieurs pouvaient probablement s’y présenter. Tout ceci est très simple et ne se passerait pas autrement chez ce Dumas. Mais alors je te demande ce que je fais ici et quel besoin peux-tu avoir de mon pauvre vieux amour ? Mon dévouement ne peut pas te servir et mon désespoir n’est pas à craindre pour toi. Pourquoi donc me retenir dans des conditions si humiliantes pour ma personne, si cruelles pour mon cœur ? En quoi ma présence ici peut-elle ajouter au plaisir que t’apporte Mlle [Champy  [3] ?] ? En quoi le spectacle de ma jalousie et de mes larmes peut-il tranquilliser ta conscience ?

Lundi matin, 8 h.

J’achève avec douceur et confiance, mon doux adoré, cette lettre commencée AVEC AMERTUME et désespoir. Je crois à tout ce que tu me dis. Je me fie à toi entièrement, reçois qui tu voudras, mon bien-aimé, je ne m’en inquiéterai pas. Je te laisse toute liberté, de ton côté accorde-moi toute confiance et tout ira bien.
Comment vas-tu, mon bon petit homme ? Comment s’est passé ton souper ? Es-tu rentré bien tard ? T’es-tu bien amusé ? Tu me diras tout cela tantôt. D’ici là repose-toi, couvres-toi bien et fais faire un bon feu quand tu te lèveras pour éviter un second rhume. Surtout ne vas pas au bain car il fait un froid noir très dangereux. Pense à moi et aime-moi. Je t’adore.

Juliette

BnF Mss, NAF 16370, f. 313-314
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

Notes

[1Juliette Champy : à élucider

[2Charles Hugo précise à propos de la demeure bruxelloise que son père occupe depuis le 22 janvier 1852 : « […] il finit par découvrir au no 27, juste en face de son cher Hôtel de ville et sous l’enseigne d’un marchand de tabac, la demeure de son goût. Un débit de tabac ! Pourquoi pas ? Quand on ne peut avoir la maison de Rubens il faut bien se contenter du logis de Callot […] » « La Grande Place », chap. 7 des Hommes de l’exil (Œuvres complètes, CFL p. 1137).

[3Juliette Champy : à élucider

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