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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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16 décembre [1841], jeudi matin, 11 h. ½

Bonjour mon Toto, bonjour mon cher bien-aimé. Comment vas-tu ce matin, mon petit homme ? Pourquoi n’es-tu pas venu cette nuit ? Il ne faut pas attribuer votre absence au mauvais temps car cela ne vous empêche pas de courira nuit et jour, ni au désir de me faire GAGNER le oquet gris puisque vous n’avez pas voulu vous engager [1]. Alors, à quoi attribuer ce nouveau manque de parole ? Je n’ose pas faire la réponse à cette question parce qu’elle n’est rien moins que bonne et que je prie le bon Dieu qu’elle ne soit pas ce que je crains. Mais que je te remercie encore du fond du cœur, mon amour, pour la complaisance et la douceur que tu as misesb à écrire cette lettre de recommandation [2]. Tu es un pauvre petit homme gracieux, doux et charmant, il ne te manque qu’une chose pour être parfait, c’est de m’aimer. Pourquoi ne m’aimez-vous pas, voyons ? Dites-le et je redoublerai d’efforts pour me faire aimer. Je vous SOURIRAI, je ferai PACHECO [3], j’imiterai le petit coq d’Andernach [4] et les façons du oquet gris. Voyons parlez, je suis prête à tout faire pour me faire aimer seulement la moitié de ce que je vous aime. Vous ne voulez rien me dire, méchant. Eh bien, je vous tuerai si vous vous avisez d’en aimer unec autre ou de la REGARDER SEULEMENT. ÇA ME FAIT MAL [5] et je vous enfoncerai mon grand couteau dans votre petit cœur de chien. Baisez-moi, affreux scélérat, baisez-moi, aimez-moi ou sinon LA MORT.
Tâchez de ne pas vous faire mouiller jusqu’aux os en allant à l’Académie [6]. Tâchez aussi de venir une petite goutte auparavant d’y aller et de revenir tout de suite après la séance vous sécher auprès de moi. Je vous aime. Si vous aviez voulu me laisser faire, nous aurions pu avoir le oquet gris. Vous êtes une bête, jamais nous n’en retrouverons plus joli et plus doux. Quantd à ce vieux loup grognon déguisé en habit vert, il est impossible de le garder [7]. J’ai bien assez de vous en fait de monstre féroce [8]. Baisez-moi, scélérat, et venez. Je vous pardonne.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16347, f. 215-216
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « courrir ».
b) « mis ».
c) « un ».
d) « Quand ».


16 décembre [1841], jeudi soir, 6 h. ½

Que je te voie, méchant, asticoter cet affreux Jacquot qui ne demande qu’un prétexte pour me dévorer. Chaque fois que tu l’agaceras je te mordrai, ce sera un prêté pour un rendu et j’aurai le soin d’enlever le morceau pour être dans le vrai et dans le juste.
J’aurais bien voulu assister à cette séance de jacoterie de tantôt dans laquelle ces deux affreux coco ont essayé de mordre et n’ont pas pu. J’aurais donné deux sous de bon cœur pour voir leurs nez de perroquet s’agiter dans le vide de deux méchants [votes  ?] CONTRE L’UNANIMITÉ [9]. Je suis vraiment très privée de ne pouvoir pas assister à ces exercices. Pour me récompenser, donne-moi le oquet gris, je te ferai crédit jusqu’à la représentation de ta pièce [10]. Dis un mot et j’aurai l’argent dans une minute, et alors tu pourrais faire toutes les bouffonneries que tu voudrais avec lui. Je ne m’y opposerais pas, au contraire. Voyons, ça y est-il ? Voime, voime, je suis une affreuse scélérate capable de tous les crimes et que tu fais très bien de ne pas écouter. Entendons-nous, de ne pas écouter pour cette chose-là mais non pas quand je vous prie de venir vous reposer auprès de moi comme à présent. Ainsi, si vous êtes un bon petit homme comme j’aime à le croire, vous viendrez vous coucher auprès de moi dès que vous aurez lu ce gribouillis. Je vous attendrai en vous faisant une bonne petite place bien chaude dans mon lit. Si vous ne venez pas, je serai très attrapéea et très triste. J’espère que vous ne me ferez pas ce chagrin et je vous baise d’avance de toute mon âme.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16347, f. 217-218
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « attrappée ».

Notes

[1Les lundi et mardi précédents, Juliette évoque un perroquet gris vu lors d’une promenade.

[2Le 25 novembre, la maîtresse d’école de Claire a demandé un service à Hugo par le biais de Juliette : sa « protection pour son beau-frère employé à la poste », en laissant « une note explicative de ses antécédents et des droits à la protection et à l’avancement ». Depuis le début de la semaine, Juliette a donc déjà relancé plusieurs fois Hugo pour que la lettre soit prête « avant jeudi » car « il paraît d’ailleurs que c’est le moment de l’avancement pour tous les employés et qu’il faut le saisir sous peine de n’avoir rien ».

[3À élucider.

[4Référence à la lettre XIII du Rhin, « Andernach », où Hugo décrit une église : « […] enfin, devant les yeux du divin maître, la croix, et entre les bras de la croix, comme la suprême torture, comme la douleur la plus poignante entre toutes les douleurs, une petite colonne au haut de laquelle se dresse le coq qui chante, c’est-à-dire l’ingratitude et l’abandon d’un ami. Ce dernier détail est admirablement beau. Il y a là toute la grande théorie de la souffrance morale, pire que la souffrance physique ».

[5Réplique de la Tisbe à Rodolfo dans Angelo, Tyran de Padoue, Journée I, scène 2 : « Moi, Rodolfo, je ne puis te voir parler à d’autres femmes, leur parler seulement ; cela me fait mal ».

[6Tous les jeudis ont lieu les séances publiques à l’Académie et Hugo s’y rend systématiquement.

[7Jacquot. Juliette souhaite le renvoyer à Laure Krafft qui le lui a donné.

[8Remarque similaire à celle du 25 novembre.

[9D’ordinaire, Juliette compare déjà régulièrement Hugo à Jacquot, le perroquet vert, en s’appuyant sur l’analogie avec l’habit sur mesure porté par les membres de l’Institut de France lorsqu’ils sont en réunion solennelle.

[10Hugo s’est engagé le 26 novembre à livrer à Buloz son prochain drame, Les Burgraves, pour février 1842.

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