Paris, 24 septembre 1881, samedi matin, 8 h.
Cher bien-aimé adoré, ce n’est pas une raison pour oublier nos chères vieilles amours parce que de jeunes et charmants amoureux se marient aujourd’hui [1], AU CONTRAIRE, et j’espère bien, même, que Dieu m’accordera l’honneur et le bonheur insignes de célébrer avec toi nos noces d’argent dans une quinzaine de mois [2].
En attendant, je tire sans pitié sur mes vieilles douleurs qui me rendent si maussade le jour et font de mes nuits une succession variée des tourments de l’enfer. À cela près, je me porte très bien. Nous avons aujourd’hui une journée aimablement laborieuse et dont nous nous tirerons avec honneur, je l’espère. Je m’y prépare en t’écrivant cette longue et double restitus. Qui paie ses dettes [3]… de cœur s’enrichit… de bonheur. Aussi n’ai-je garde d’y manquer. Je regrette que tes enfants n’aient pas trouvé place au festin nuptial de ce soir. Il faut que cela ait été tout à fait impossible pour que l’hospitalité de notre cher ami Paul Meurice se soit abstenue aujourd’hui. J’espère encore que c’est plutôt un malentendu qu’un empêchement et qu’ila s’éclaircira d’ici à ce soir et que nous aurons le plaisir de les voir assis à la même table que nous. Je viens de faire une petite provision de monnaie à ton intention pour les pauvres du dehors et pour la quête du dedans à la mairie tantôt. Je viens aussi de payer les nettoyagesb des trois lampes avec les fournitures montant en tout à 28 F., ce qui met à sec mon porte-monnaie. Heureusement que c’est aujourd’hui le jour à argent et que tu en as.
Je me hâte de t’en donner un reçu en règle sous cette signature : JE T’ADORE.
[Adresse]
Monsieur Victor Hugo
BnF, Mss, NAF 16402, f. 215-216
Transcription de Caroline Lucas assistée de Florence Naugrette
a) « nétoyage ».