10 mai [1839], vendredi après-midi, 2 h. ¾
J’espère mon adoré qu’il était temps ? … une minute de plus et vous n’auriez pas eu votre représentation à bénéfice [1]. Vous avez été cette fois plus heureux qu’amoureux. Je pense, mon bien-aimé, que puisque nous avons eu le malheur d’échapper [à] Chappelle, il vaut mieux attendre à l’autre mois que de lui écrire. Voici ma raison : c’est qu’en lui écrivant à l’avance, nous lui donnons le temps de préparer ses ergots de créancier et son hideux gloussement de cordonnier qui veut être payé CONTINUELLEMENT, au lieu que pris sans défense et à l’improviste dans les phrases du SEIGNEUR DON JUAN il sera le plus bête et le plus doux des bourgeois [2]. Il ne faudrait plus pour achever de le flatter excessivement que la lecture de cette lettre !!!!!!!!!!!!a Je vous aime, Toto, mais il faut me remmenerb promener avec vous. Si vous travaillez, je ne vous parlerai pas mais je vous verrai, mais je vous sentirai, ce qui sera encore le paradis. Donnez votre petit nez que je le baise et pensez un peu à moi qui vous adore.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16338, f. 147-148
Transcription de Madeleine Liszewski assistée de Florence Naugrette
a) Les douze points d’exclamation courent jusqu’à la fin de la ligne.
b) « remener »
10 mai [1839], vendredi soir, 5 h. ¼
Auparavant de me mettre d’arrache-pied à l’ouvrage, je veux écrire votre petite lettre. D’ailleurs, je n’en serai que plus courageuse et plus résignée à vous attendre. Vous étiez bien beau tantôt, mon Toto, avec votre belle redingote, votre rue et votre belle figure : ou alliez-vous comme ça ? Je veux le savoir et surtout connaître pour QUELLE raison, vous vous soignez si bien depuis quelque temps ? Ce n’est pas pour moi, à coup sûr, car jeune et jolie et élégante que j’étais quand vous m’avez aimée pour la première fois, vous ne vous êtes jamais mis en frais de toilette ni de coquetterie pour me plaire, il est vrai que vous étiez sûr de votre affaire et que vous n’aviez pas le soin de cela. Il paraît que vous n’avez plus cette même confiance en vos moyens naturels que vous vous servez de ceux du tailleur, du barbier, etc. etc. ? Mais je voudrais savoir pour qui sont ces cheveux si artistement arrangés qui sifflent sur votre tête [3]. Ma jalousie est éveillée, je vous en préviens. Ainsi, gare à vous, ne me trahissez pas, mon petit homme, car quel que soit votre nouveau choix, vous perdriez au change. Personne ne vous aime comme votre vieille
Juju
BnF, Mss, NAF 16338, f. 149-150
Transcription de Madeleine Liszewski assistée de Florence Naugrette