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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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8 mai 1839

8 mai [1839], mercredi matin, 10 h. ¾

Mon petit Toto, vous laissez passer le temps du bonheur et vous ne le rattrapez plus, car ce qui est vrai pour le temps l’est encore plus pour l’amour. Enfin, mon petit homme, que votre volonté soit faite, je ne suis que votre esclave trop heureuse de vous aimer.
C’est aujourd’hui le mois du portier, demain celui de la bonne. Je t’en fais souvenir pour que tu saches bien où j’en suis de tout l’argent que tu me donnes. Je sens bien que ce sont ces raisons qui t’empêchent de venir dans la nuit, mais le matin tu n’as pas les mêmes raisons et c’est ce qui m’afflige et m’inquiète. Je ne vous ferai plus de dessins, soyez tranquille, je ne prodiguerai pas mes chefs-d’œuvresa à un ingrat. J’aime mieux renfoncerb mon talent et mon inspiration au fin-fond de mon talon. Mon Dieu, le beau temps. Je crois que je sens encore davantage le malheur de n’être pas en voyage avec vous, faisant le tour d’un mois de bonheur, ce qui vaut mieux que le tour du monde. En vérité, je suis bien malheureuse. Baisez-moi, mon Toto, plaignez-moi car je ne ris plus, je souffre.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16338, f. 139-140
Transcription de Madeleine Liszewski assistée de Florence Naugrette

a) « chef-d’œuvres ».
b) « renfoncez ».


8 mai [1839], mercredi soir, 7 h. ¾

Je serai bien contente de ma journée, mon adoré, si le bonheur était dans le travail, mais malheureusement il n’en est pas ainsi et la preuve c’est que je suis triste et mécontente. Je ne vous ai pas vu ou si peu que c’est plutôt un regret qu’un plaisir. Je peux dire avec la chanson, « Je n’ai pas vu mon amant ce matin et c’est cela qui me fait du chagrin » [1]. Quelle chaleur étouffante, elle me rend malade. Je t’ai dit tantôt, mon Toto, que je n’avais que 30 francs en piècesa de cinq francs mais je ne savais pas qu’il restait dans ma bourse 7 francs 10 sous en monnaie, outre la dépense de demain que j’ai donnée à la bonne. Aussi, mon petit homme, j’ai des remords de t’avoir pris ton pauvre argent. Je voudrais que tu viennes pour te le rendre, je n’aime pas que tu sois sans argent. Vous ne m’avez pas fait compliment de mon dessin d’hier, soyez tranquille, je vous en ferai d’autresb pour n’en être pas mieux récompensée.
Vous voyez mon Toto que j’ai le courage de rire, quoique j’aie le cœur plein de tristesse et de désirs de vous voir ?

Juliette

BnF, Mss, NAF 16338, f. 141-142
Transcription de Madeleine Liszewski assistée de Florence Naugrette

a) « pièce ».
b) « d’autre ».

Notes

[1Danse populaire de jeunes filles connue sous les titres « Bonjour, belle voisine » ou « Bonjour mademoiselle, comment vous portez-vous ? »

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