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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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19 novembre, vendredi soir, 7 heures trois quarts [1841] [1]

JE L’AI ! ! ! QUEL BONHEUR ! ! ! [2] et dire que depuis ce matin qu’elle était là, rien ne m’a avertie, mon cœur n’a pas battu plus fort qu’à l’ordinaire, la terre n’a pas tremblé, le ciel n’a fait aucun prodige, enfin tout est resté à l’état bête et tranquille comme si de rien n’était, et JE L’AVAIS ! et je la possédais dans ma chambre à moi, à mon nez et à ma barbe. − En vérité, c’est à n’y pas croire et si une autre que moi me le disait, je ne la croirais pas. Mais ce qu’il faut que vous croyiez vous, mon amour, parce que c’est la vraie vérité, c’est que je vous aime, c’est que vous êtes le plus doux, le plus charmant, le meilleur, le plus beau, le plus généreux, le plus noble et le plus adoré des hommes. Voilà ce qu’il faut que vous croyiez parce que c’est la sainte vérité, comme le bon Dieu et moi la voyons. − La boîte à tiroirs est ravissante, mais ce qui l’est encore bien davantage c’est la manière dont tu me l’as donnée. LA FAÇON DE DONNER VAUT MIEUX QUE CE QU’ON DONNE, a dit je ne sais qui, mais c’est surtout quand c’est toi qui donnes que ce proverbe est vrai. Tu donnerais tous les trésors de l’univers que tu saurais y mettre une grâce mille fois plus précieuse que le cadeau. Quant à moi, je suis folle de joie car je crois que tu m’aimes. À présent, je peux bien te dire cela, mais cette nuit j’ai pleuré sans pouvoir m’en empêcher en pensant combien tu étais plus jeune et plus beau que moi. Je me suis représenté le moment où tu ne pourrais plus m’aimer, et alors mon cœur s’est serré au point d’étouffer si je n’avais pas pleuré à chaudes larmes. Je sens bien que je mourrai bien vite le jour où tu ne m’aimeras plus et je sais bien que jamais femme ne t’aimera comme moi. Mais ce jour-là n’arrivera jamais, je l’espère, n’est-ce pas mon amour ? AU CŒUR ON N’A JAMAIS DE RIDES [3] et tu ne regarderas mon visage qu’à travers mon amour.
N’est-ce pas mon Victor bien-aimé ? Pendant que je pleurais et que je me désolais, toi tu pensais à moi, pauvre amour, et tu m’apportais ma chère petite boîte à tiroirs. Nous faisions tous les deux un acte d’amour, le mien triste et découragé, le tien charmant et délicat comme tout ce que tu fais. J’espère qu’il nous portera à tous les deux bonheur et que tu m’aimeras aussi longtemps que je trouverai ma chère petite boîte jolie, c’est-à-dire toujours.
JE L’AI. QUEL BONHEUR ! ! ! Je voudrais la mettre au milieu de la chambre, sur une table en or, je voudrais la mettre dans mon lit, à mon bras, sur mon cœur, partout enfin où on pourrait la voir et la toucher. En attendant, je lui ferai une toilette soignée demain, ce soir il est trop tard. Il faut que je copie, il faut que je dîne, et que je vous rende votre gribouillis d’hier dont vous m’aviez fait crédit. Aussi, je remets la partie à demain, d’abord parce qu’il fera jour. Je la nettoierai auprès de vous, dans mon lit, petit tiroir par petit tiroir, ce sera charmant.
Je vous aime, je vous aime Toto, je vous baise et je vous adore, Toto.

JULIETTE

Lieu de conservation inconnu
[GUIMBAUD]
Notes de Gwenaëlle Sifferlen

Notes

[1Louis Guimbaud, Victor Hugo et Juliette Drouet, d’après les lettres inédites et avec un choix de ces lettres, Paris, Auguste Blaizot éditeur, 1914, p. 380-381.

[2Il s’agit d’une petite boîte à tiroirs que Juliette réclame depuis très longtemps et que Hugo lui promettait initialement pour le nouvel an.

[3Citation de Hernani, acte III, scène 1, réplique de Don Ruy Gomez : « […] Nos pas sont lourds ? nos yeux arides ? / Nos fronts ridés ? Au cœur on n’a jamais de rides. / Hélas ! quand un vieillard aime, il faut l’épargner. / Le cœur est toujours jeune et peut toujours saigner ».

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