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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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21 octobre [1841], jeudi matin, 9 h. ½

Bonjour mon cher bien-aimé, bonjour mon Toto chéri. Voilà une matinée bien triste, bien noire et bien pluvieuse et tout à fait d’à propos car il paraît que notre pauvre petit bonheur quotidien est fini, ou du moins interrompu jusqu’à l’année prochaine ? Hélas ! je m’y attendais, mais c’est toujours aussi triste et aussi difficile à supporter qu’un malheur inattendua et j’ai toutes les peines du monde à me retenir de pleurer [1].
Comment as-tu passé le reste de la nuit, mon Toto ? J’espère que tu n’auras pas veillé le reste de la nuit après avoir travaillé ici jusqu’à deux heures du matin ? Il ne faut pas non plus abuser de ton courage jusqu’à tomber malade car ce serait du courage bien mal entendu et bien mal employéb. Moi, j’ai très mal dormi car je me doutais de ce qui allait m’arriver. Mais cela importe peu, l’important, l’essentiel, c’est que toi tu ne sois pas malade car si ce malheur arrivait, j’en deviendrais folle sur la place. Je t’aime mon Toto, je t’aime mon cher amour. Je vais copier un peu avant de déjeuner pour tâcher d’attraper un peu d’appétit car je n’ai pas la moindre faim, contrairement à mes habitudes bien connues. Jour Toto, jour mon cher petit O. Juju est bien bête, ia ia monsire matame, mais elle vous aime, voilà son sarme.
C’est aujourd’hui l’Académie [2], est-ce que tu ne viendras pas me donner un pauvre petit baiser avant d’y aller ? Ça me mettrait un peu de baumec dans mes épinards [3] et me donnerait le courage de passer cette affreuse journée tant bien que mal. Tâche de venir, mon adoré, j’ai tant besoin de te voir. Je t’aime trop.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16347, f. 41-42
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « inatendu ».
b) « emploié ».
c) « beaume ».


21 octobre [1841], jeudi soir, 8 h. ¾

Je viens de finir de copier, mon adoré. Madame Pierceau a eu la bonté de me laisser finir et moi j’en ai profité avec enthousiasme parce que cela t’oblige à me donner tout de suite d’autre ouvrage.
Dites donc, pôlisson, je vous trouve un peu hardi d’oser dire que je ne sais pas le latin, je LEa SAIS mieux que toi, entends-tu, ignorant [4]. Parce que t’as une patente d’académicien, tu veux molester le pauvre monde, mais que je t’y attrape encore et tu verras un peu de quel bas je me mouche. Tais-toi, tais-toi, brigand. Tâche de venir me promener un peu ce soir, je ne l’aurai pas volé car depuis ce matin je pioche comme une pauvre MALCENAIRE [5]. J’aurai tant de joie si vous venez, mon amour, tant et tant que ce sera une bonne action si vous me faites sortir un peu ce soir. Mon Toto chéri, mon Toto éblouissant, mon Toto aimé, mon Toto adoré, tâche de venir tout à l’heure, je serai bien seule et bien triste et si tu ne viens pas je serai bien malheureuse. Vous êtes mon cher petit homme que je désire et que j’aime, vous le savez bien, ne vous faites donc pas tirerb l’oreille pour me donner la plus grande joie que je puisse éprouver. Venez vite, je vous baiserai de toute mon âme. Soir Toto, soir mon petito. Reviens cette nuit, mon adoré, tu me feras crier de toute ma voix QUEL BONHEUR !!! et… le RESTE. Je t’aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16347, f. 43-44
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « LA ».
b) « tirez ».

Notes

[1Toute la famille de Hugo est revenue de Saint-Prix la semaine précédente.

[2Tous les jeudis ont lieu les séances publiques à l’Académie et Hugo s’y rend systématiquement.

[3Expression que Juliette emploie très fréquemment.

[4Hugo taquine sans cesse Juliette sur son « latin de cuisine ».

[5Expression empruntée à la quatrième lettre du Rhin ou Victor Hugo rapporte des dialogues entendus lors de changements de chevaux entre Mézières et Givet : « Il travaille toujours. Il travaille pire qu’un malsenaire », prononciation déformée de mercenaire, Le Rhin, volume « Voyages », Œuvres complètes, édition dirigée par Jacques Seebacher et Guy Rosa, Paris, Robert Laffont, 1985, 2002, p. 40.

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