Paris, 14 août [18]79, jeudi matin, 7 h.
Cher bien-aimé, comment t’es-tu tiré de cette nuit orageuse entre toutes ? Moi je l’ai passéea presque blanche et très agitée. Aussi suis-je très fatiguée et très énervée ce matin. Quant à ma fichue jambe, elle profite de tous les prétextes pour me faire souffrir comme une damnée [1] sans compter les cousins qui se sont rués avec fureur sur ma pauvre peau que c’est comme un bouquet de fleurs… rouges. À cela près, excusez du peu, ma lamentable personne va très bien.
J’ai déjà encaissé pour toi un chiffre respectable de lettres marquées à tous les coinsb de la bêtise et de l’esprit… d’intrigue et autre, comme le dirait Lesclide. Il y en a une démesurée dans tous les sens, pour la forme et le fond, extérieurement et intérieurement, d’un Baron de Krüchner [2] qui dit avoir été en rapport avec toi au Congrès de la Paix à Lausanne en 1869 [3]. Il te demande… de lui prêter mille francs pour faire imprimer une brochure en faveur du retour du Comte de Chambord qui seul peut rendre à la France l’honneur et le bonheur si fort compromis par Ta République. Il ne doute pas que tu les lui prêtesc, cesd mille francs, et il viendra les chercher ce matin à onze heures. Je ne m’y oppose pas. En attendant je vais aller savoir des nouvelles de ta nuit et te porter mon plus tendre bonjour car je t’aime que j’en querve [4].
[Adresse]
Monsieur Victor Hugo
BnF, Mss, NAF 16400, f. 200
Transcription d’Apolline Ponthieux assistée de Florence Naugrette
a) « passé ».
b) « coings ».
c) « prête ».
d) « c’est ».