19 mai [1841], mercredi matin, 11 h.
Bonjour mon Toto bien-aimé, bonjour Picardet [1], bonjour le plus HEUREUX des hommes. Je vous permets la séduction de Mme Picardet [2] à la condition de savoir TOUT, ia, ia ou sinon non, je retire ma permission. En attendant prenez garde de vous renrhumer aujourd’hui car il fait beaucoup de vent et qu’il est très froid.
Je voudrais savoir quand je copierai enfin ce fameux discours [3] ? J’espère que vous n’aurez pas l’injustice de le faire copier par Mlle Didine [4] ? Je ne vous le pardonnerais pas, ni à elle non plus la petit sorcière. Tâchez donc de me l’apporter tout de suite afin que je vous le COPIRE de ma plus belle écriture. En attendant je me FLUCTIONNE, ce qui m’embête au superlatif. Je ne sais pas ce que je n’aimerais pas mieux que ça. Me voici encore une fois sans sirop, nouveau plaisir, ce traitement n’est pas seulement embêtant, il est ruineux [5]. Quant à moi je regrette beaucoup ma peau de léopard et toutes les peaux de lapins blancs de la création ne me tenteraient pas à ce prix-là [6]. Je t’aime mon Victor bien-aimé, je t’adore mon petit homme.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16345, f. 163-164
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
19 mai [1841], mercredi après-midi, 2 h. ½
À peine avais-tu tourné le coin de ma rue [7], mon adoré, que le facteur apportait deux lettres pour moi, une de ma fille, l’autre de Mme Krafft. Je n’ai décacheté que la première parce que je suis un être très bien dressé qui ne se permet pas la plus petite infraction à la consigne, pas même celle que mon postier se permet de faire tous les jours sur toutes les lettres des locataires de la maison.
Je suis plus naïve [plusieurs mots illisibles] plus consciencieuse que [plusieurs mots illisibles], je laisse tranquillement la lettre sur la table sans lui regarder sous la jupe. Tiens, voici Résisieux, sa bonne et son frère [8] qui viennent m’apporter mon chapeau de chez la marchande de modes [9]. Il n’est pas joli mais au moins il n’est plus hideux, c’est tout ce qu’il me faut. Maintenant il nous reste à le payer, ce qui n’est ni le plus agréable ni le plus facile, ia, ia monsire matame.
Jour Toto, jour Picardet. Je suis toujours pour ce que j’en ai dit : vous allez lire votre discours chez les péronnelles du défunta [10]. Ne mentez pas et revenez tout de suite me dire la vérité. Je vous aime.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16345, f. 165-166
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) « défun ».