15 juin [1841], mardi après-midi, 2 h. ½
Je me suis aperçuea au moment de t’écrire, mon cher bien-aimé, que je n’avais pas de papier. Force m’a été d’attendre que Suzanne soit revenue d’en chercher.
Quelle charmante surprise tu m’as faiteb hier, mon Toto, j’aurais été morte depuis trois jours que je crois qu’elle m’aurait ressuscitéec. Être avec toi, voir le ciel et le soleil avec toi, respirer l’air avec toi, vivre avec toi, c’est un bonheur dont je ne me rassasie jamais et pour lequel je donnerais ma vie toute entière pour un jour tout entier comme les quelques heures d’hier et de ce matin. Je t’aime, mon beau Toto, je t’adore, mon noble et généreux homme, je t’aime, je t’aime.
Vous avez encore tourné le mauvais coin, scélérat, où alliez-vous par là [1] ? Chez Mme Picardet je suis sûre [2]. Toto, Toto, vous êtes un affreux misérable à qui je donnerai plus de coups que de morceaux de sucre, soyez sûr de ça et tâchez de ne pas me faire sortir de mon caractère naturellement DOUX ET TIMIDE. Ia, ia monsire matame , la PAIONNETTE AU QUI [3]. Baisez-moi, vilain monstre, et taisez-vous car vous m’exaspérez à la fin.
Je voudrais bien savoir pourquoi vous n’avez pas voulu que je réponde tout de suite à la pauvre Fifine [4] que vous preniez en considération sa recommandation touchant son coiffeur savant ? Il me semble qu’il eût été plus logique de répondre tout de suite afin de faire plaisir à ce frisae érudit et peut-être rendre un service à la mère Krafft qui a peut-être besoin de son adhésion au CONCORDAT [5]. Enfin vous savez ce que vous faites, ce que vous faites est bien et je ne suis que votre très humble et très obéissante esclave en ceci comme en tout. Baisez-moi bien vite PȎLISSON.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16345, f. 255-256
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) « apperçu ».
b) « fait ».
c) « resçussitée ».