1er février [1841], lundi, midi ¼
Bonjour mon Toto bien-aimé, bonjour mon cher adoré. Comment vas-tu, mon petit bien-aimé ? Il fait un froid de chien et il neige à ce que dit Suzanne. Maintenant que tu as ton paletot [1] et ton habit je suis moins tourmentée pour toi. J’espère que tu ne te laisseras pas avoir froid.
Dites donc, vieux Chinois [2], est-ce que vous aviez un autre rendez-vous cette nuit que vous n’êtes pas revenu ce matin ? Vous en êtes très capable avec votre petit air de n’y pas toucher. Si je savais ça, je raiguiseraisa mon grand couteau et je vous en repasserais deux ou trois pieds dans le ventre. C’est bien le moins qu’on puisse faire. En attendant cet événement plein de charme je voudrais vous voir, vous embrasser et vous caresser de toutes mes forces. Jour Toto.
J’ai oublié de te dire que le marchand de vin consent à fournir son vin au panier à 14 sous la bouteille. C’est la bonne qui a jugé convenable, d’elle-même, d’en faire le marchandage car pour moi je m’étais rendueb à ton raisonnement de ne pas demander de réduction pour conserver la qualité première du vin. Mais il paraît que cela n’influera pas sur la bonté du vin, nous le verrons bien d’ailleurs et nous en serons quittesc pour le changer s’il arrivait que le vin devînt mauvais.
Je suis bête comme une oie ce matin, moi qui ORDINAIREMENT ai tant d’esprit, mais ça ne m’empêche pas de vous aimer de toute mon âme et de vous désirer de tout mon cœur.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16344, f. 97-98
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) « réguiserais ». Juliette a manifestement confondu les homophones « réguiser » : perdre au jeu, ruiner, dévaliser et « raiguiser » : aiguiser de nouveau.
b) « rendu ».
c) « quitte ».
1er février [1841], lundi soir, 5 h. ½
Mon cher petit homme, vous oubliez que je vous attends et vous oubliez que je vous aime puisque vous ne venez pas. Il fait bien froid et j’ai bien mal à la tête. Il serait possible que vous me trouvassiez couchée ce soir quand vous viendrez. À propos, c’est aujourd’hui le mois du portier, mais j’aurai à te parler à son sujet car ce matin il a fait faire par le propriétaire une espèce de semonce à Suzanne que je trouve fort stupide. Tu en jugeras toi-même quanda
Lundi soir, 8 h.
Je t’ai dit de bouche ce que j’étais en train de t’écrire, mon adoré. Je viens d’écrire au propriétaire et à l’épicier et maintenant j’achève ma lettre commencée. Ce que j’ai à te dire est dit : je t’aime. Ce qui me reste à dire tu le devines : je t’aime. Ce que j’aurai à te dire tant que le cœur me battra : je t’aime. Tu vois que mes ressources épistolaires sont très bornées et pas du tout variées, aussi je pourrais économiser le papier et l’encre ou en user indéfiniment selon que je voudrai, car un mot suffit pour toute une passion et des milliards de rames de papier et de bouteilles d’encre seraient insuffisantes pour dire tout ce que ce mot contient de tendresse, d’admiration, de dévouement et d’adoration. Je t’aime, mon Toto. Viensb souper, mon pauvre petit homme, tu auras des choux-fleurs que j’avais oublié de mettre sur ma carte.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16344, f. 99-100
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) Phrase interrompue en plein milieu par l’arrivée de Victor Hugo.
b) « vient »