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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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16 janvier [1840], jeudi après-midi, 1 h.

Bonjour mon cher petit bien-aimé adoré, bonjour mon amour, bonjour mon Toto. J’ai été bien tourmentée cette nuit. D’abord bien joyeuse parce que j’ai cru que tu allais faire comme l’autre foisa et puis venir passerb le reste de la nuit avec moi. Mais quand j’ai vu toutes les heures se succéder une à une sans toi l’inquiétude m’a galopéec et j’ai été très malheureuse tout le reste de la nuit ; au reste il y paraissait sur ma figure, comme tu as pu t’en apercevoir, tout à l’heure. Je t’aime mon Toto. Je t’adore mon petit homme et dès que je ne te vois pas mon cœur se remplit de tristesse et d’inquiétude comme si tu devais être nécessairement malheureux ou blessé. Ce n’est pas ma faute : je ne suis heureuse et tranquille que quand je te vois, ce n’est pas ma faute. Bonjour toi que j’aime, bonjour bijou…bonjour Toto, bonjour adoré, je t’aime, entends-tu ? Je baise tes chers petits pieds. Je suis bien contente que tu ne dînes pas chez le duc d’Orléans. J’espère que je serai aussi heureuse une autre foisa. En attendant sois-moi bien fidèle et aime-moi. Je viens d’acheter des soles qu’on va faire cuire tout de suite de sorte que si tu viens ou souper ou déjeuner tu auras du bon poisson tout frais. Jour Toto. J’ai bien mal à la tête mais je sais que je ne peux pas sortir ainsi ça ne vous fait rien que je me plaigne. Baisez-moi alors, aimez-moi et ne soyez pas toute la journée sans venir me voir.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16341, f. 60-61
Transcription de Chantal Brière

a) « autrefois ».
b) « passé ».
c) « galoppée ».


16 janvier [1840], jeudi soir, 5 h.

Le blanchisseur est enfin venu aujourd’hui et Mme Krafft a envoyé, derrière toi, prendre le manuscrit et les deux lettres en me faisant savoir par un petit mot qu’elle emportera les cadres quand elle viendra me voir.
Je vous aime mon Toto et je suis triste de vous voir si peu. D’un autre côté je sais tout ce que tu as à faire mon petit homme et je ne t’en veux pas, bien au contraire, mais tout cela ne m’empêche pas d’être horriblement triste. L’argent me fond dans la main. Je lisais hier un portrait de M. de Sévigné le fils qui me ressemblait parfaitement : « il n’avait aucune fantaisie, ne donnait aucun régal, ne faisait pas de cadeaux, portait des habits modestes, ne jouait pas, n’avait qu’un seul domestique et pas un seul cheval pour suivre le roi ou monseigneur le dauphin à la chasse, mais sa main ressemblait à un creuset où l’or se fond. » Je suis un peu dans ce genre-là : je ne fais aucune libéralité, j’ai un an de suite la même robe sur le dos, je ne fais de cuisine que lorsque tu dois dîner à la maison, je n’ai qu’une servante et pourtant l’argent disparaît chez moi comme la neige sous un rayon de soleil. Ce n’est pas [ma] main qui est un creuset mais ma vie passée qui est un abîme que tout l’argent du monde aura bien de la peine à combler. Aussi je suis triste, triste. Aime-moi mon Toto, surtout ne te tue pas à travailler pour tout le monde comme tu le fais sans relâche. Je peux vendre quelque chose qui ne m’est pas nécessaire tandis que j’ai besoin de ta santé et de ton repos pour vivre heureuse et tranquille. Pense à cela, mon adoré, et ne sois pas scrupuleux aux dépensa de la vraie délicatesse, c’est-à-dire de mon bonheur et de mon amour. Quand te verrai-je, mon adoré ?

Juliette

BnF, Mss, NAF, 16341, f. 62-63
Transcription de Chantal Brière
[Guimbaud]

a) « au dépend ».

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